Un an après le gargantuesque festival qui fit connaître l’Embobineuse à la face du monde, faisons un petit arrêt sur image, histoire d’être paré pour la seconde édition… (lire la suite)
Un an après le gargantuesque festival qui fit connaître l’Embobineuse à la face du monde, faisons un petit arrêt sur image, histoire d’être paré pour la seconde édition
Dans un Marseille pré-bourgeois où toute création n’est plus que la conséquence pratique d’un dossier de subvention, l’initiative non professionnelle des Embobineurs a pris tout le monde de court. Il y a un an, au fond de la Belle de Mai, une petite troupe sortie de nulle part a entamé, sans se soucier de la fréquentation, la programmation du plus ambitieux des festivals. C’est seulement ensuite que, au hasard de leur parcours « culturo-prozacien », quelques-uns prirent le programme, objet mythique venu d’ailleurs, en pleine tête. A lui tout seul, ce tract surabondant renfermait l’essence du nouveau lieu : une envie débordante et bordélique de hurler (les raisons sont nombreuses) et de s’installer définitivement dans la transgression du bon goût pour se faire du bien et se marrer ensemble. Franchissant le sombre Rubicon social des voies ferrées, quelques-uns ont tenté l’expérience du « Mékeskecé ? ». Certains en ont ramené des souvenirs de sang et d’insultes, d’autres de musiciens se coupant les cheveux en jouant du Bontempi. On raconte aussi que certains auraient mangé leurs excréments, se seraient prostitués ou encore que le vacarme créé lors de leurs « koncerts ! » n’aurait rien à envier au chantier de la République. Bref : y en a des qui crient au génie et y en a des qui crient au « N’importe quoi ! ». Au vu de la fréquentation enregistrée en 2005, une chose est sûre : la réputation — et la réalité — de l’Embobineuse tient plus du fantasme que de l’expérience. Alors que l’édition 2006 a déjà été inaugurée en grandes pompes, il était temps d’y retourner en plein jour, histoire d’éclairer les zones d’ombres de ce hangar sans fenêtre. Souvenir : en 2003, par hasard, je participe au déménagement d’un grand brun, dans une usine qu’il a l’intention de transformer en lieu de théâtre alternatif. Pour cela, il vendrait des pains d’épices. Après lui avoir lâché deux trois « bon courage », je prends congé, persuadé de ne plus entendre parler de cette initiative déconnectée. Moins de trois ans après l’épisode, je retrouve l’ultra convaincu, sur scène et la bite à l’air, coupant le cordon 2006 en ajoutant un intitulé au nom déjà fleuve du festival : Art et terrorisme, pouvoir, domination, porno chamanisme ET intolérance ! Pour répondre aux dix mille questions qui trottent depuis ma première visite (et qui pourraient se résumer à « Comment en arrive-t-on là ? »), Félix, alias Annabelle[1], alias Fujicoon, semble l’interlocuteur idéal. 20 h, bar du coin. Etudiant breton, notre homme est à Marseille en 2002 pour finir ses études de Théâââtre. Il rencontre alors un groupe de Lyonnais installés dans une usine de bobinage pour y faire un atelier de peinture contemporaine. Certains d’entre eux l’emmènent à Lyon, dans le lieu qu’ils occupaient auparavant : Le 13. Au programme, ce soir-là, Jean-Louis Costes. « Double Impact ! » comme dirait Jean Claude Van Damme : de retour à Marseille, Félix focalise sur ce qu’il vient de découvrir : la performance, les lieux alternatifs, la musique noise improvisée. Avec son collègue Lucas, futur Christobald alors occupé à animer Atlas, son géant de théâtre de rue, ils commencent à caresser l’idée de reproduire dans le 13 ce qu’il a vu dans le 69 (Le 13) : Le 69 ? Non, l’Embobineuse. L’année 2004 sera exclusivement employée à aménager l’étage resté libre de la bobinerie : dans un quartier en pleine reconstruction, la récupération devient une évidence. Au fur et à mesure qu’il recouvre la future salle de spectacle de moquette ignifugée « rouge Twin peaks », démontée à la Foire de Marseille, notre noyau commence à rencontrer ceux qui vont nourrir l’appétit du lieu. Citons, en vrac : Bertrand le régisseur, Shibrox, dont la collection de films improbables suffirait à alimenter une vie à se pisser dessus, Titi et ses mixes qui unissent Coluche et Rock’n’roll Session de Nurse With Wound, Olivier de Data, la mirifique médiathèque où l’on trouve l’original de Rock’n’roll Session par Vince Taylor, Jo le videur aux trois cents blagues, Jens le ma(son) , le graphiste Dave 2000… Un point commun unit toutes ces énergies : d’Allemagne ou de la Lune, tous sont arrivés à Marseille pour continuer ce qu’ils avaient de plus en plus de mal à faire ailleurs. Et tous sont persuadés qu’ailleurs, l’aventure serait terminée depuis longtemps. Les derniers arrivés, comme Philippe, n’ont pas connu le 30 janvier 2005, première soirée performante qui comprenait un hommage au professeur Choron, une dégustation-prise-de-sang-cocktail et déjà Cristobald et Annabelle, la future success story. Le premier festival allait naître avec vingt dates en quarante jours de bruits, de projections, de performances et d’expérimentations en direct. Un an plus tard, les Embobineurs sont-ils fatigués de jouer devant dix personnes ou excités à l’idée de voir le public multiplié par deux ? Ont-ils une réponse à ceux qui déploraient samedi « C’est un peu récurrent » alors que nos gusses se faisaient recouvrir de poils pour ressembler à Chewbacca dans un tonnerre guttural impressionnant ? Les musiciens lyonnais n’étaient pas venus, la voisine — qui va bientôt partir — a coupé dix fois le courant… : « Les limites du punk », a-t-on pu entendre. Une chose est sûre, l’enthousiasme est là, et la programmation également avec la venue de Costes, Steve McKay, Didier Super, les mercredis vidéos de Shibrox en inox et la participation du Dernier cri et de La Matière. A noter : la multiplication des performances créées pour l’occasion par les Embobineurs. Procurez vous le programme- collector — et composez votre éveil. L’Embobineuse n’est pas une salle de spectacle, mais un lieu vivant dont l’expérience est propre à chacun, intime. La programmation n’est qu’une incitation et personne ne peut prédire ce qu’il s’y passera, alors n’y allez pas en voyeur, soupesant la marchandise. Prenez un verre de punch gingembre, montez dans la Fiat à guirlandes… et laissez agir. L’homme restera violent et apeuré tant qu’il singera le contraire.
Emmanuel Germond
Art et terrorisme, pouvoir, domination, porno chamanisme ET intolérance ! Jusqu’au 10/06 à l’Embobineuse (voir programmation détaillée dans les différents agendas de cette semaine et des suivantes). Rens. 04 91 50 66 09 / www.lembobineuse.biz. A noter : 20 euros pour 5 spectacles et 5 consos.
Notes
[1] Celle-la même dont « le vagin, c’est les Dents de la mer en vacances à Tchernobyl »