Ysaé, nouvel album Pop Art Lyrical
Take it Ysaé
Le rapper marseillais Ysaé sort Pop Art Lyrical, son premier projet solo après Karkan en parallèle à ses débuts dans le cinéma. Avant-première, tous publics.
Engoncé dans ses clichés misérabilistes ou bling-bling, pâle copie d’un modèle américain dont il ne revêt pas exactement la même réalité sociale, le rap français n’a jamais été une priorité dans ces colonnes. Dès lors, il eut été hypocrite que nous mettions un jour, sauf exception (La Méthode), le rap « marseillais » (parce qu’il aurait une spécificité ?) en avant. Par bonheur, il arrive parfois qu’une trajectoire, une différence, une singularité, donc, titille notre curiosité. C’est le cas d’Ysaé (« easy » en verlan : voilà pour le passif de graffeur), pur produit du multiculturalisme si cher à sa ville, qui se lance aujourd’hui dans une carrière solo après avoir débuté dans le hip-hop avec différents groupes — dont le plus connu, Karkan, avait attiré l’attention il y a cinq ans sur son premier album. Non pas que le disque nous incitât à faire le poirier sur un doigt, mais il portait déjà en lui – chose rare à Marseille – les stigmates d’un goût immodéré pour les musiques noires (la soul, le jazz). Grand colosse d’origines antillaises, Christian Mellon (pour l’état civil) a grandi avec ces musiques-là, mais aussi, et surtout, dans un quartier où il ne faisait parfois pas bon être black : la Rouvière, une sorte de téci à l’envers, populaire mais blanche jusque dans ses extrêmes. A l’adolescence, le hip-hop – culture urbaine par excellence – est donc un exutoire, sauf qu’il s’agit du hip-hop de la Native Tongue, positif et idéaliste. Clairement, le garçon n’est pas dans le combat (ou alors une autre forme de combat) mais dans l’échange : il fait des études de socio, puis nourrit sa théorie de ses rapports quotidiens avec tous ceux à qui… il distribue le courrier (sa profession). Un Besancenot du rap taille XXL ? Certainement pas : « Je préfère aller au combat dans la rue, au quotidien, plutôt que d’exprimer une colère au travers de mes textes ». De fait, Ysaé ne pouvait que détonner au sein de la scène rap phocéenne — ou plutôt, au-delà de celle-ci, à sa périphérie (Sud). Charismatique et très avenant, il s’est progressivement construit un réseau qui réunit des musiciens d’origines fort diverses (comme ceux avec qui il travaille sur ses concerts) et des gens issus du monde du cinéma (il a tenu quelques rôles dans des films de taille variable au cours de ces deux dernières années, et s’essaie donc en parallèle à une carrière d’acteur). Après plusieurs premières parties de choix (Abd Al Malik, De La Soul, l’ouverture de la dernière Fiesta des Suds…), son projet solo déboule enfin dans les bacs : Pop Art Lyrical, volontiers présenté comme une « critique de la société de consommation par le modèle du détournement. » Etait-il vraiment nécessaire de citer Warhol ? Lol. Situé quelque part entre le rap français « cool » du milieu des 90’s (façon Alliance Ethnik) et un parti pris métis calibré pour les radios (parfaitement illustré par un premier single avec Anis), assez organique dans sa conception (samples et instruments acoustiques s’y toisent) mais loin d’être aussi dénonciateur qu’annoncé dans son propos, Pop Art Lyrical se rapproche au final plus de Jehro que des sérigraphies d’Andy : un succès potentiel « made in Marseille » qui vaut davantage pour son honnêteté que sa portée artistique. « Je fais de la musique pour qu’elle soit écoutée par un maximum de personnes. Il faut bien entrer dans l’avion si tu veux pouvoir le détourner… » En attendant, ceux qui l’aiment prendront le train : Ysaé donne actuellement une série de mini-concerts avec IDTGV, optant pour une nouvelle façon de conduire sa promo, hors des sentiers battus mais quand même bien sur les rails. Logiquement, il devrait bientôt connaître son quart d’heure de gloire.
Texte : PLX
Photo : Emmanuel Bournot
Dans les bacs : Pop Art Lyrical (Open Your Mind/EMI)
En concert le 22 à Châteauvallon (avec Hocus Pocus) et le 29 à l’Affranchi (sortie d’album) + mini-concerts avec IDTGV jusqu’au 1er juin
Rens. www.ysae.fr