Ensemble, à dessein
Implanté à la Plaine, le Zarmatelier s’expatrie momentanément à Aix pour souffler ses dix bougies. L’occasion de revenir, en autant de chapitres, sur l’aventure de cette bande qui dessine.
1/ La genèse
An 2000. La visite de l’atelier 510 TTC à Reims agit comme une révélation pour Bruno Bessadi et Richard Di Martino, amis de longue date et complices au sein de la boîte de dessins animés Aladin. Ensemble, ils créent l’association Zarmatelier, en référence au mot arabe, qui signifie « soi-disant » : « On trouvait ça marrant d’avoir un atelier qui n’existe pas. » Quand Aladin ferme ses portes, Bruno et Richard décident de concrétiser leur idée en aménageant dans un petit local niché au cœur du « quartier d’artistes » phocéen. Ils embarquent avec eux quelques-uns de leurs anciens collègues, qui rêvent de rejoindre le monde de la bande dessinée. Parmi eux, Thomas Allard, qui fait encore les beaux jours du local de la rue Ferrari.
2/ La bande
Aux trois « historiques » viendront s’ajouter, par ordre chronologique, Domas, Eric Henninot, Clément Baloup, Eddy Vaccaro, Christophe Alliel et Renaud Garcia. Soit neuf trentenaires ou presque (« Il y en a un qui est plus vieux que nous, mais je ne le citerai pas », souffle Bruno dans un clin d’œil), dont le look d’ado contraste avec le professionnalisme — être signé est en effet la condition sine qua non pour intégrer l’atelier. Arrivée il y a quelques mois pour prendre la place de Renaud (parti tenter l’aventure du dessin animé), Mathilde Domecq ne sait pas encore si elle continuera à amener un peu de féminité dans ce monde de mâles. « J’ai bien compris que j’étais une pièce rapportée », s’amuse-t-elle.
3/ Le lieu
Petit local convivial en duplex, le Zarmatelier reflète l’esprit bon enfant qui règne en son sein. Chaque auteur a créé une ambiance particulière, épurée pour Renaud ou plus… foutraque pour Bruno : « L’ambiance ordonnée dans laquelle je travaille témoigne d’une santé d’esprit à toute épreuve ! » explique le jeune homme, pince-sans-rire, avant de préciser, comme si c’était nécessaire, qu’il a « horreur du vide ». Passé le coin cuisine, où trône le frigo « historique » de l’association dédicacé par les auteurs de passage (Didier Conrad, Christian Rossi…), un petit escalier mène à l’étage où sont disposées cinq nouvelles tables. « On a toujours une table en plus, un peu comme une chambre d’amis dans un appartement, pour les copains auteurs de passage ou d’éventuels stagiaires. »
4/ L’association
S’il leur arrive de collaborer en binômes (Di Martino et Domas, Clément Balloup et Eddie Vaccaro, Bruno et Eddie), les membres du Zarmatelier ne se sont pas réunis dans ce but. D’autant que personne n’évolue dans le même registre — « ce qui fait tout l’intérêt de notre association ». Réalisme, comique, intimisme, science-fiction, jeunesse : il y en a pour tous les goûts. « On s’est réunis d’abord pour briser la routine du dessinateur qui travaille seul chez lui, constate Bruno. Ça crée forcément une émulation, une entraide. Le fait d’arriver tous les matins et de voir les autres dessiner, ça motive ! Et dès qu’on a un doute dans l’agencement d’une case par exemple, on demande l’avis des copains. » Et Mathilde de renchérir : « En fait, on fonctionne sur le même principe que les ateliers d’auteurs ou d’artistes. Ce n’est pas un outil promotionnel, juste un lieu de travail. Evidemment, il y a un esprit qui s’en dégage, un bon esprit, très… viril. »
5/ La BD au féminin
Un atelier fort en testostérone donc, symptomatique du milieu de la BD en général : « On ne doit même pas être dix pour cent de femmes », constate Mathilde. A Marseille, les filles qui font de la BD se comptent d’ailleurs sur les doigts d’une main : Lisa Mandel, Isa, Sylvie Bonnino, Mathilde, donc… Mais la situation semble être en train de changer, avec l’avènement de la BD « pour filles », qui n’est pas forcément du goût de Mathilde : « Les nanas entretiennent ce jeu de la BD girlie. Ce n’est pas super intéressant de nous réduire à ça. Il y a même des festivals consacrés aux femmes. Et pourquoi pas des festivals de gros, de moches, de roux ? On n’est pas une catégorie ! »
6/ La transmission
Si les membres du Zarmatelier sont tous signés, ils se préoccupent aussi de la nouvelle génération, en donnant des cours deux fois par mois. « Il s’agit plus d’un accompagnement de dessinateurs amateurs que d’une initiation à la BD à proprement parler », précise Bruno. Dix élèves bénéficient ainsi des conseils de notre club des neuf. « On y participe tous, en binômes. On fait un roulement. C’est d’autant plus intéressant qu’on est différents et qu’on ne va pas tous donner les mêmes conseils à nos élèves. C’est quelque chose auquel on tient beaucoup parce qu’on en a nous-mêmes bénéficié, avec Jean-Louis Mourier notamment. C’est d’ailleurs comme ça qu’on a rencontré Mathilde. Les cours, c’est une manière de donner ce qu’on a reçu. » « C’est la meilleure des écoles », rajoute la jeune femme.
7/ Le marché de la BD
Les membres du Zarmatelier ont quasiment tous signé au début des années 2000, une période faste pour le marché de la bande dessinée : « On a vécu ça comme un open bar ! ». Quant à Mathilde, elle se considère comme chanceuse : « J’ai signé en 2004. On m’a dit que c’était l’un des derniers moments pour le faire, dans la mesure où il y avait 1500 nouveautés par an. Dire qu’aujourd’hui, il y en a environ 5000… Il y a une logique de surproduction hallucinante ; c’est trop. » « D’autant qu’il n’y a rien d’intéressant ! », rajoute Bruno en riant, avant de préciser avec beaucoup d’autodérision que cette drôle de saillie est la signature d’un « auteur aigri ».
8/ L’expo à Aix
« On a fait un gros travail collectif au niveau de l’installation, explique Bruno. Ce n’est pas un truc à la con comme la majorité des expositions de ce genre qui se contentent de mettre des originaux sous verre. Avec l’aide de Serge Darpeix (ndlr : directeur artistique des Rencontres du 9e Art), qui nous a un peu aidés et guidés, on a essayé de faire quelque chose de didactique. » Via de grandes fresques murales dessinées, l’exposition chorale recrée ainsi l’ambiance de l’atelier, tandis que des tables à dessins permettent de découvrir l’univers de chaque auteur.
9/ L’amitié
En dix ans, des relations amicales fortes se sont évidemment créées entre tous les membres de la petite famille du Zarmatelier. Au point qu’aujourd’hui, Bruno est le parrain de la fille de Richard, qui sera témoin au mariage de Renaud. Tandis que Domas est le parrain du fils de Thomas. Mathilde a une formule pour résumer les choses : « Payer un loyer est un luxe qui nous permet de ne pas travailler avec des gens qu’on n’aime pas. »
10/ Marseille
Bruno est le premier à s’en étonner : « Ça fait dix ans qu’on est à Marseille et c’est Aix qui nous rend hommage ! » Invités récurrents des festivals Massilia BD et Des Calanques et des Bulles, les auteurs du Zarmatelier n’ont pourtant jamais eu l’heur d’une exposition dans la cité phocéenne. « On m’a parlé d’un truc, capitale de la culture en 2013, je crois… On a tenté de monter un festival de BD avec la Réserve à Bulles dans ce cadre, mais ça n’a pas marché… C’est triste. »
Propos recueillis par CC
Zarmatelier : 1 rue Ferrari, 5e. Rens. 04 91 48 87 80 / www.zarmatelier.com / http://zarmatelier.over-blog.com
Exposition jusqu’au 23/04 à l’Espace Jeunesse Bellegarde (37 Bd Aristide Briand, Aix-en-Pce).