Mediterranean Charlie Orchestra

Orchestral manœuvres in the jazz

 

C’est l’un des projets musicaux les plus fous labellisés par MP 2013. De par son ambition de créolisation, le projet Mediterranean Charlie Orchestra s’inscrit dans l’imprévisible d’un swing universel. Présentation éclairée par Aurélien Pitavi (Charlie Free), Pauline Chaigne (Orchestre des Jeunes de Méditerranée) et l’incontournable feu follet du jazz phocéen, Raphaël Imbert, compositeur et directeur artistique du projet.

Le montage n’a pas dû être évident tant les structures partenaires ont des identités fortes : l’OJM et ses ambitions d’excellence musicale classique, Charlie Free et son exigence jazzistique férocement libertaire, Raphaël Imbert et ses recherches ontologiques, trop souvent perçues comme une obsession d’un rapprochement jazz/classique. Le but ? Donner une cohérence artistique à vingt-quatre jeunes musiciens en fin de formation dans les conservatoires du pourtour méditerranéen et huit musiciens de la compagnie Nine Spirit, pour des workshops et des représentations estivales. Sur le départ pour des auditions de recrutement avec le directeur de l’OJM, Pauline Chaigne précise que si « une ouverture vers le jazz » est attendue de la part des candidats, il s’agit surtout pour eux de « savoir jouer un trait d’orchestre ». Après tout, Charlie Parker lui-même ne considérait-il pas ses sessions avec des cordes comme l’acmé de sa carrière musicale ? Et s’il y a Charlie dans le nom de l’orchestre, c’est parce que l’association vitrollaise au cœur du dispositif a toujours su que l’esprit de Bird était un gage de créolisation, et que d’autres Charlie de l’histoire du jazz (Mingus, Haden) le classent comme une « musique de résistance » (Aurélien Pitavi).
Car le véritable sens musical proposé par le MCO est loin du sens commun, proposant un objet jazzistique non identifié, ce qui est le propre de l’esprit du genre ! Au-delà d’un « troisième courant » du jazz qui consisterait à rapprocher classique et notes bleues, c’est plus à une odyssée méditerranéenne rompant avec le tropisme transatlantique du genre que convie ce projet. Il faut d’ailleurs considérer les musiciens de la compagnie Nine Spirit comme des intervenants pédagogiques bienveillants. Rompus aux multiples facettes de l’improvisation, ils devront conduire les jeunes recrutés par l’OJM sur les voies de l’émancipation par rapport aux canons de la musique symphonique. « Il est important, si ce n’est primordial, que tous les musiciens présents appréhendent les notions d’improvisation propres au jazz, rappelle Raphaël Imbert. Les musiciens de Nine Spirit sont habilités à être solistes, c’est vrai. Mais il est de « notre devoir » que l’improvisation devienne un langage d’orchestration et d’échange pour tout le monde. Mon travail consiste, justement grâce à l’improvisation et à l’oralité, à intégrer les possibilités de diversité culturelle et musicale à ce que j’ai déjà préétabli. Cela reste un facteur important de mon travail : être attentif aux autres. » Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que le chef d’orchestre sera lui-même au Fender Rhodes, le plus soulful des claviers ?
Le projet est bâti en partie autour de la figure tutélaire de Joseph Conrad : « La dimension conradienne, dans ce contexte de création, est d’abord une vision de son parcours d’homme et d’artiste. Sa jeunesse, son œuvre et sa fin de vie sont évoquées pour mieux réhabiliter sa part de Méditerranée qui constitue une grande part de ses racines. Au-delà de ses origines polonaises, on oublie trop souvent que Conrad s’est formé à la navigation à Marseille ! Ce qui fait que Conrad est cet auteur du voyage et de l’initiation, il le doit à Marseille, et je suis toujours frappé qu’on ne lui rende pas hommage de ce point de vue. C’est là que le bagage pluriel des musiciens du MCO sera extrêmement bénéfique. » Encore un choix iconoclaste du saxophoniste, toujours là où on ne l’attend pas.

Laurent Dussutour

 

Rens. http://ojmed.com/fr/sessions2013/mediterranean_charlie_orchestra/