YesWeCamp sur le Quai de la Lave
Camping on the Moon
« Lorsque les littoraux se pensent en termes de surfaces constructibles, quand se payer des vacances dans une cage à lapin relève de l’Odyssée, l’enjeu dépasse forcément le panier bio. » En février dernier, à l’occasion du lancement du prototype, nous essayions de mettre le doigt sur ce qui fait du projet YesWeCamp une pièce maîtresse sur l’échiquier du logement estival alternatif. Depuis, nous sommes allés faire un tour sur le chantier, et avons essayé de réfléchir sur tout ça.
A l’époque où Marseille semble se fendre en deux, entre un passé ouvrier en berne et un présent à la Disneyland (touristes, glaces, feux d’artifices, jets d’eau, défilés, bougies et constructions éphémères), mener un projet à la YesWeCamp relève du défi. A l’époque où l’on nous sert, depuis les centres-villes, de la décroissance, du bio, du sympathique, de « l’alterno » et de l’écolo à toutes les sauces, défendre un projet de camping urbain en autogestion est la posture idéale pour se faire tirer dessus par les uns ou les autres. Il convient pourtant de faire la part des choses, et tenter de percevoir les enjeux qui se jouent réellement derrière les échafaudages et les constructions insolites du Quai de la Lave (il a dû en couler un jour, à midi en plein été), à l’Estaque, où l’entreprise initiée par le OFF est en train de prendre forme. Emmanuel Riondé, un de nos confrères du Ravi, a d’ailleurs bien saisi l’un des principaux paris qui se joue aux portes de la ville : faire se rencontrer « les petits-enfants des travailleurs immigrés » (les « enfants de la classe ouvrière, nourrie par l’immigration d’après-guerre »), et les « cultureux branchés écolos ». Ce serait « le scénario rêvé du printemps estaquéen », s’enthousiasme le journaliste. Deux mondes, qui devraient idéalement avancer ensemble, sur les mêmes territoires. Et faire la nique à Mickey.
Bâtir son futur.
Le futur se construit dès à présent dans les quartiers Nord. « C’était important de faire ça dans la partie de la ville oubliée par la fête », précise Nicolas Détrie, référent d’une équipe en plein rush (autorisations tardives aidant), la veille de l’ouverture d’une partie du camping (celle qui accueillera les événements, concerts, ateliers et spectacles tout l’été) au public. Un public qui pourra, enfin, dès le trente-et-un, dormir dans l’une des fameuses installations novatrices en termes d’urbanisme, de gestion des énergies, de lien social et… de prix ! De 13 à 80 euros la nuit en pleine saison au bord de l’eau. Du bateau à sec à d’ingénieux dortoirs composés de palettes, du cabanon perché à La Boîte à sens (cabane érotique pour s’envoyer en l’air, en l’air) en passant par le Neto 3000 (quatre conteneurs à poubelle et roule ma poule), chacun pourra réserver son lit selon son budget. Derrière l’humour et l’aspect décalé de ces installations se cache pourtant un parti pris sociétal d’envergure : oublier les inabordables et asociales cités dortoirs qui ont colonisé la côte d’Argelès à l’Italie et polluent la mer en déversant leurs flots mortifères de consommation de masse. L’affaire relève encore du test, de l’expérience. On l’espère viable.
Un village, dans le village, dans la ville
YesWeCamp se définit comme « un lieu ouvert à tous, conçu comme un événement permanent, créatif, familial et festif », précise l’équipe. Et l’on continue la visite au milieu des gravas, des structures de bric et de broc, de bois et d’acier. Cet espace central ? La future agora. Les vieux chauffe-eau dont on a enlevé l’isolant ? Ils serviront pour alimenter les douches, après avoir chauffé directement au soleil. Ces immenses baignoires à droite à gauche ? La Maison Bulle Maneval : encore démontée, prêtée par l’Ecole d’Art d’Aix, probablement l’habitat le plus pop jamais débarqué sur Terre, conçu dans les sixties par l’architecte et urbaniste Jean Benjamin Maneval. Et ces bidons découpés ? Des éviers ? Non, des urinoirs…
C’est le cœur d’un véritable village miniaturisé qui devrait battre au rythme d’animations quotidiennes, à deux pas de la plage de Corbière. Et même si c’est sûrement complètement hors propos, on ne peut s’empêcher de penser aux phalanstères, au village d’Asterix ou, si l’on force vraiment le trait et l’aridité de la garrigue aidant, au festival Burning Man dans le désert de Mojave. Mais trêve de caricatures, car il s’agit d’un projet participatif aux entrées multiples, nourri d’une bonne dose d’utopie, c’est essentiel, mais bel et bien en train de prendre forme sous nos yeux.
Jordan Saïsset