Le MuCEM : Les expos inaugurales
Territoire d’outre-mer
L’objet de toutes les curiosités, de toutes les attentes, ouvre enfin ses portes. Au-delà d’un musée, le MuCEM est un objet architectural, pensé en termes d’urbanisme, qui dévoile une programmation d’envergure.
Avec son exosquelette ajouré de béton, le bâtiment sculptural du J4 marque le paysage et les esprits. Si sa façade évoque un moucharabieh, ce qui semble logique pour un Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, il s’agirait en fait, selon son créateur, d’une vue en coupe du fond marin ! Ainsi, ce bâtiment symboliserait le lieu d’implantation, Marseille et sa ceinture d’eau et de calcaire, plutôt que sa fonction ? L’idée a du charme. Rudy Ricciotti, l’architecte, l’avoue : « Le MuCEM n’est pas qu’un musée, c’est un territoire ». Or, selon le géographe Claude Raffestin, « le territoire est un espace transformé par le travail humain. » Et le MuCEM transforme l’espace. De par sa situation et sa topologie, il fait la jonction entre trois parties de la cité : la ville antique, sur la butte Saint-Laurent au Panier, grâce à une passerelle qui enjambe les voies ; la ville moyenâgeuse — l’actuel Vieux-Port — d’où l’on accède par le bas du Fort Saint-Jean ; et enfin la partie de la ville issue du milieu du XIXe siècle(1), le nouveau port de la Joliette. Le MuCEM, c’est donc le bâtiment du J4 et le Fort Saint-Jean restauré, le tout formant un espace public, puisqu’il sera possible d’accéder librement aux espaces extérieurs (jardin, esplanade et chemin de ronde au point de vue unique). Sans oublier le Centre de conservation à la Belle de Mai, lieu de stockage, mais aussi espace d’expositions et de ressources documentaires. Voilà pour le contenant. Concernant le contenu, pas moins de six expositions, dont deux permanentes (voir ci-dessous), du cinéma, des rencontres et débats : plus qu’un territoire, c’est un horizon !
Damien Bœuf
MuCEM (Esplanade du J4, 2e). Rens. 04 84 35 13 13 / www.mucem.org / www.mp2013.fr
Les expos inaugurales
La Galerie de la Méditerranée
Dans son exposition permanente, le hall d’accueil du J4 entreprend de faire découvrir la civilisation méditerranéenne. La galerie se compose d’une première partie didactique abordant l’invention de l’agriculture. Puis l’exposition laisse place à l’émerveillement dès sa deuxième étape concernant Jérusalem. La diversité des supports, la beauté des icônes et d’autres objets de culte des trois religions monothéistes fascinent. S’ensuit la question de la citoyenneté depuis la Grèce antique et ici encore, les gravures, maquettes d’Athènes et de nombreux vases et amphores nous proposent un angle passionnant sur l’histoire méditerranéenne. Le parcours s’achève par le thème de la science où l’on découvre avec curiosité quelques-uns des premiers globes terrestres et autres instruments de mesures.
Le Noir et le bleu, un rêve méditerranéen
« Bleu, ceci est la couleur de mes rêves », commentait Miró au sujet de Bleu II, l’œuvre phare de l’exposition. Ce parcours depuis le 18e siècle jusqu’à nos jours associe inévitablement le bleu au noir, laissant pressentir une collection à fort contraste. Ce voyage historique commence au port de Marseille dans une œuvre sublime de Vernet. Couvrant de longues époques avec justesse, l’exposition dévoile également certaines œuvres connues qui jalonnent le parcours, comme Le Minotaure de Picasso ou La Vague bleue de Klein, qui prend ici tout son sens. La dernière partie de l’exposition s’avère particulièrement brillante. Elle oppose le tourisme bleu et ses magnifiques clichés de plages au noir « mafia » avec des photographies de crimes sombres en noir et blanc. Un bel épilogue à une composition réussie.
Au bazar du genre, masculin-féminin en Méditerranée
Tout en s’inscrivant malgré elle dans l’actualité, cette exposition à la scénographie unique met en exergue les différentes manières de percevoir et de vivre son genre et sa sexualité dans la société. Dans une vidéo, on revit d’abord avec intérêt les multiples revendications passées et actuelles, féminines d’une part puis celles des communautés homosexuelles d’autre part. Grâce à un contenu riche — affiches d’époque, photographies, audio et vidéos — on (re)découvre l’évolution des différences entre les genres et les sexualités. On écoute par exemple les témoignages poignants de jeunes femmes de cités au sujet de leur virginité. Dans un tout autre registre, un corset pour homme, une robe de mariée velue, et d’autres objets surprenants tournent dans une vitrine. Un véritable tribut à l’égalité des sexes.
Les Choses de ce côté du monde
De l’autre côté de la passerelle, sur le toit du Fort Saint-Jean, un bâtiment accueille la première exposition photo d’une longue série qui s’enchaînera tout au long de l’année capitale. La pièce comprend en son centre deux écrans géants. L’un d’eux constitue l’élément sonore principal de l’exposition via une conversation dans une langue unique — créée par une communauté turque — qui s’apparente à des chants d’oiseaux. Tout autour, on est touché par de puissants clichés : des portraits d’enfants syriens, une cour d’école à Damas… Ensuite, ce sont des paysages de villes portuaires de la Méditerranée, photographiés avec talent par André Mérian, qui retiennent toute l’attention. Un court mais intense et passionnant voyage sur les rives méditerranéennes.
Le Temps des loisirs
Le Fort Saint-Jean tout juste rajeuni par de récents travaux disposera désormais d’une importante collection d’objets liés au thème du loisir. L’exposition aborde la démocratisation du loisir avec l’exode rural qui s’est opéré entre le 19e et le 20 e siècle. Elle se répartit dans plusieurs espaces du Fort. La première partie réunit dans une pièce des éléments traditionnels comme les crèches de Noël ou les luminaires de Hanouka. La partie sur la diffusion des divertissements se révèle particulièrement attrayante, regorgeant de nombreuses marionnettes comme le célébrissime Guignol, et donnant à voir, plus loin, un immense cirque reconstitué avec des effets sonores crédibles. Une collection idéale pour le jeune public, qui rappellera de bons souvenirs à tous les autres.
Anthony Michel
Notes- C’est de cette époque que le port acquiert son préfixe « vieux »[↩]