ActOral à Marseille
Paroles en l’ère
Qui sait tout n’a finalement plus besoin de se déplacer. C’est pourquoi nous continuons au fil du temps de partir à la (re)découverte du festival ActOral. Parce que chaque année, des noms nouveaux, des artistes inconnus de ce côté-ci de la France attirent notre curiosité. Mais ne nous y trompons pas, en 2013, ActOral voit aussi les choses en grand.
Pour esquisser quelque chose, il faut bien s’appuyer sur un vécu, alors on s’arrête sur des noms déjà connus, à commencer par la venue de Rodrigo Garcia, l’auteur de la formidable Histoire de Ronald le clown de McDonald’s, programmée par le Merlan en 2006. Chez Rodrigo Garcia, l’outrance est une qualité, parce qu’elle nous colle la tête au pare-brise pour mieux comprendre notre participation à une bêtise orchestrée et mondialisée. De bêtise et même de violence, il en est aussi question chez Jonathan Capdevielle qui, dans une sensibilité affirmée (un coming out), nous montre ce que l’on s’inflige quand on affiche sa différence. Mais ActOral sait aussi donner la parole aux jeux de mots et à quelque chose d’indéfini que l’on pourrait appeler, pour reprendre les termes de son parrain Anne James Chaton, la nomologie, une science de l’écriture dans une construction et une déconstruction propices à de nouveaux assemblages de formes. Et là, ça se complique parce que le spectateur perd ses repères et ses têtes d’affiches pour entrer dans un monde ouvert où certains artistes arrivent puis disparaissent et où ce qui fait sens, c’est le nombre et la vue d’ensemble. On sépare souvent la danse de la littérature, comme si l’esprit refusait les mots pour mieux déambuler dans le silence des pas feutrés. Alors quelle bonne nouvelle de découvrir qu’Olivia Grandville, jeune danseuse à l’Opéra de Paris puis convertie au génie de Dominique Bagouet et enfin autonome avec l’affirmation de son nom, oser franchir le pas du côté des mots. On se réjouit également de la venue de Gustavo Giacosa, partenaire de longue date de Pipo del Bono, qui n’a pas son pareil pour transmettre une folie contagieuse libérant le sujet et l’affranchissant de la norme. De la danse au théâtre, il n’y a évidemment qu’un pas. Ce qui pose la question de l’espace de représentation : le théâtre est-il toujours le lieu adéquat ? Gisèle Vienne nous avait proposé de suivre des familles sur une patinoire dans une ronde propice à toutes les rencontres avec Eternelle idole. Elle est présente cette année à ActOral et on prend vite la mesure d’une programmation majeure qui a voulu se mettre à la hauteur des ambitions de la Capitale européenne de la Culture. On le voit bien, ActOral se place clairement du côté de la multiplicité et de l’éclatement des frontières avec une porte ouverte à la première ou la deuxième chance, pour tenter d’élargir un territoire qui ne se contrôle plus, et c’est bien là le but.
Karim Grandi-Baupain