Festival Nuit d'Hiver #11, à Marseille
L’Interview
Jean-Marc Montera
En route pour le festival Nuit d’Hiver qui, s’il fait froid dehors, si l’obscurantisme menace, signe une onzième édition pleine d’espoir, à l’intitulé — « Improvisation et Ecole de Vienne » — pas si antinomique que ça. Eclairage avec son principal instigateur, le directeur du GRIM.
En quoi l’Ecole de Vienne a-t-elle été révolutionnaire ?
C’est un mouvement qui s’est créé au début du XXe siècle, insufflé par Arnold Schönberg, et qui a introduit le dodécaphonisme, avec deux de ses condisciples, Alban Berg et Anton Webern… Révolutionnaire, je ne sais pas, mais elle a élargi les champs liés à la composition musicale.
Qu’est-ce qu’une révolution musicale à vos yeux ?
Par une précipitation du langage musical, lorsqu’il y a un changement radical d’un mode de composition, on peut parler d’une révolution dans le domaine. Je crois que ce processus se fait un peu plus lentement que ce que l’on croit. Il n’y a pas de choses qui arrivent comme ça et qui bouleversent tout du jour au lendemain, y compris Hendrix dans sa manière de jouer de la guitare électrique, même si cela a été pris à l’époque comme une grosse claque par la gente guitaristique. C’est un processus sur le long terme. La rupture est revendiquée, mais est mûrie depuis longtemps. Elle n’est pas issue d’une génération spontanée.
Comment faites-vous donc le pont entre l’improvisation et l’Ecole de Vienne, qui sont tout de même aux antipodes ?
S’il y a un endroit où il n’y a pas d’improvisations, c’est bien dans l’Ecole de Vienne. Le titre vient d’une extrapolation faite à la lecture de la biographie de Derek Bailey par Ben Watson, dans laquelle il livre une anecdote concernant le guitariste qui serait un jour tombé sur une bobine de pièces signées Anton Webern. J’ai essayé de comprendre pourquoi Derek Bailey, qui jouait à cette époque dans l’orchestre de variété de son oncle, a dévié de ses modes de jeux traditionnels de la guitare pour arriver à développer un style, une véritable signature, sa carte d’identité. Derek a utilisé des principes d’écriture pour les appliquer à l’impro totale. Le titre du festival permet de faire un éclairage sur cette rencontre et son héritage. Boulez d’un côté, et de l’autre les guitaristes de tout poil, comme ceux venant du rock, de la noise. Le cheminement se fait par extension.
Faites-vous une distinction entre ce que certains appellent la « musique savante » et la « musique populaire » ?
Personnellement, je ne sais ni ce qu’est la musique savante ni la musique populaire. Si la musique populaire, c’est ce qu’on entend toute la journée sur des radios qui ne vivent que grâce à des spots publicitaires, alors tout le reste est par conséquent de la musique savante… Mon approche est liée à l’émotion, au sensible.
Y a-t-il eu, à vos yeux, un trait caractéristique au XXe siècle ?
Il y a tellement de traits dans des secteurs différents, des traits qui se rejoignent… Tout dépend où l’on pose notre marqueur. C’est difficile de faire des généralités parce que à partir du moment où l’on stigmatise un événement dans une période donnée, on lui donne une importance, qu’il mérite, mais qui peut masquer tout le reste. Je préfère une vision en 3D comprenant jusqu’aux ramifications les plus farfelues. C’est ce qui fait la musique. Par exemple, il existe une passerelle entre Edgar Varèse et Zappa, et celle-ci passe par Boulez. Les arborescences sont très larges. Elles vont jusqu’à des domaines insoupçonnés.
La musique noise est-elle un symbole de l’improvisation ?
On doit pouvoir écrire de la noise, mais est-ce que cela aurait de l’intérêt ? J’espère faire adopter au public une sorte de plaisir émotionnel dans une écoute active. Qu’il soit autant émetteur que récepteur. Ce qui me préoccupe particulièrement, c’est la tentation d’obscurantisme, une espèce d’idéologie réactionnaire décomplexée qui s’affiche et qui m’inquiète. Des gens vous diront que Schoenberg, c’est de la fumisterie, qu’il faut revenir à une musique tonale qui brosse dans le sens du poil, qui fasse plaisir aux oreilles. Cette idéologie-là ne fait pas le tri. Comme toute idéologie imbécile, elle est généraliste et nivèle par le bas. Si l’on arrêtait de penser que la différence est directement dirigée contre notre intégrité, on percevrait les choses d’une autre manière.
Propos recueillis par Jordan Saïsset
Nuit d’Hiver #11 : du 12 au 21/12 à Marseille.
Le programme détaillée jour par jour du festival Nuit d’Hiver ici
Rens. www.grim-marseille.com / www.mp2013.fr
La sélection de la rédaction
Conférence
Paul Hegarty – Barrage contre : musiques nouvelle comme prophylactique, harsh noise wall comme guérison virale
> le 20 à Manifesten
Le philosophe Paul Hegarty dissèquera le spectre de Vienne, de la noise et les concepts mêmes de « musique nouvelle » et « révolution musicale ». « Vienne continue de nous proposer un modèle d’ores et déjà révolu de ce qu’est la révolution en musique, mais de manière exemplaire et toujours valable. Le mur érigé en forme de musiques nouvelles se trouve en face de la Harsh Noise Wall.» Passionnant.
Concert
Vomir + Maginot + Aluk Todolo + Stephen O’Malley
> le 20 à l’Embobineuse
Paul Hegarty enchaîne (en duo avec Romain Perrot dans Maginot) à l’Embobineuse au sein d’un joli plateau noise rock au sens large, lorgnant vers le post-metal grâce au trio Aluk Todolo, formant le fameux « Harsh noise wall » avec Vomir, et bien plus doom sous les doigts du célèbre guitariste Stephan O’Maley. Une belle façon de rendre compte d’une approche musicale toujours en mutation.
Concert
Christian Sébille & Jean-Marc Montera + Ecole de Vienne autour de 1910
> le 21 au Grand plateau de la Friche la Belle de Mai
Point d’orgue du festival, cette soirée concrétise avant tout, au travers de ses deux directeurs, la collaboration entre le GRIM et le GMEM, deux structures complémentaires au sein du paysage marseillais. Autre moment fort : cinq pointures réunies par la violoniste Fanny Pacoud pour un tour d’horizon de l’Ecole de Vienne, avec notamment l’interprétation insolite d’un Pierrot Lunaire avec… des voix d’hommes !