Marseille 3013 vu par Martin Carrese

Marseille 3013

La démarche du siècle

 

Ils avaient largement anticipé la Capitale (dès 2004 !) ; il était donc logique qu’ils ne tirent pas le rideau à la fin de l’année. Les joyeux agitateurs du OFF embarquent pour une nouvelle aventure autour des paradoxes marseillais, afin de « faire émerger de nouveaux projets originaux, participatifs et accessibles ». Explications.

 

« Elle se vante d’être accueillante alors qu’elle est dure, elle se veut mobile alors qu’elle est encore automobile, elle se veut urbaine alors qu’elle est sauvage, elle regarde la mer mais empêche ses habitants de s’y baigner, elle clame son unité alors qu’elle est fracturée de toutes parts, elle cherche à se faire apprécier des autres alors qu’elle a du mal à s’aimer. » Marseille a changé, mais ses paradoxes ont la vie dure… Et c’est peut-être cette complexité qui la rend si fascinante. Cette vision de la ville, loin de tout manichéisme, a été au cœur du projet mené par l’équipe de Marseille 2013 tout au long de cette année. Dans la continuité de sa programmation, le OFF lance donc un laboratoire participatif afin de détourner les nombreux paradoxes de la cité phocéenne en gestes artistiques. Il s’agit ici d’imaginer des projets en lien avec quatre d’entre eux, qui témoignent chacun à leur manière du rapport schizophrénique que les Marseillais entretiennent avec une ville forte d’une telle personnalité.
Le premier, « Plein de bouche », est centré sur la promesse comme « thérapie collective » face à la dureté d’une ville écrasante. Sans pour autant tomber dans la facilité (et le « Tous pourris » si favorable à l’extrême-droite), le projet phare de cet axe sera bien entendu lié aux Municipales, revisitant les codes des campagnes électorales via des « ateliers d’écriture de discours, de bourrage d’urnes, des battles d’affiches… » Une façon ludique de s’emparer de la chose politique et des (nombreux) travers phocéens en la matière.
Le deuxième, « La Cagnasse », entend mettre l’accent sur la difficulté d’intégration à Marseille et la nécessité pour ses habitants de « s’imposer » pour obtenir leur place au soleil, dans cette ville qui a tout d’une fille facile, mais qui ne se donne — entièrement, certes — qu’au prix de nombreux efforts. Un réseau reliant les nouveaux arrivants et les Marseillais devrait être au cœur de ce deuxième axe de programmation.
Troisième paradoxe, « Plage des Prophètes » souligne le rapport étonnant de Marseille avec la grande bleue, qui s’étend à perte de vue, mais dont on ne profite que d’une portion étriquée faute d’accessibilité. Il s’agira ici de valoriser artistiquement les escaliers menant à la mer ainsi que les grilles du port. On peut d’ores et déjà compter sur le pool d’architectes invité à deux reprises par le OFF à concevoir des projets pour inscrire durablement la ville sur la carte de la culture européenne, et dont les maquettes exposées au Frioul puis au J1 nous ont bluffés.
Enfin, « Villecontreville » imagine comment la future métropole finira, si elle continue à cultiver son « romantisme post-adolescent d’éternel espoir déçu », par se fracturer complètement, à l’instar de ces cités hipster au centre-ville gentrifié et à la périphérie laissée à l’abandon. D’où l’idée d’un « bus enchanté » qui rapprocherait les habitants du territoire via des actions artistiques et participatives.
Des idées ont donc commencé à émerger. Pour le reste, c’est à vous de jouer !

CC

Rens. www.marseille3013.com

 

L’Interview
Alena Siarheyeva

 

 « Tête chercheuse » du OFF, Alena Siarheyeva a son mot à dire quant à la suite de l’aventure : si Marseille 3013 débarque enfin, fort de nombreux projets culturels, c’est aussi l’occasion pour cette dernière de s’engager… au nom de l’innovation.

 

Comment définiriez-vous votre place au sein du OFF ?
Je suis chercheur donc j’étudie le OFF, les acteurs qui le portent et l’objectif de pérennisation de ce « festival ». Ce que je perçois ? Le OFF est une initiative portée par des activistes qui ont des valeurs et une vision précise du milieu culturel ainsi que de sa possible évolution.

 

Comment s’est positionné le OFF cette année ?
Assez tôt, la raison d’être du OFF a été d’aller à l’encontre de la sélection des projets artistiques de la programmation officielle. Pourquoi ? Car cette sélection s’est faite dans la logique du « picking the winner ». Les acteurs du OFF ont donc proposé des projets innovants, expérimentaux, et rendu visibles des artistes émergents. En somme, il s’agit d’un regroupement d’outsiders dont l’action existe d’ailleurs pour la première fois au cœur d’une Capitale culturelle.

 

De quoi asseoir la réputation de « Marseille, ville rebelle »… Mais qu’en est-il du OFF de demain ?
Marseille 3013 va commencer dès 2014. L’idée est la suivante : « La Capitale de la Culture pour toujours ». Des appels à propositions se font en ce moment même. En tant que chercheur, j’accompagne trois projets du 3013. Cet accompagnement passe surtout par la structuration : je travaille sur la valorisation et les prototypes qui ont été créés grâce à la créativité. En clair, je m’occupe du modèle économique qui va favoriser la création de ces prototypes. « Mission 3013 » est un de mes volets. Il s’agira de proposer des parcours en ville afin que la population découvre Marseille autrement.

 

On a l’impression que les acteurs culturels de la ville n’évoluaient que dans l’ombre avant cette année…
Cette année a cristallisé des tensions qui existaient déjà entre petits acteurs de la culture et grands opérateurs. 2013 a déclenché une armada de positionnements distincts quant à ce secteur précis. Il fallait créer à une interactivité entre la population et les artistes, mettre en avant une collaboration interdisciplinaire qui mélange parfaitement les genres. Le OFF l’a fait.

 

Comment vous épanouissez-vous au sein du OFF ?
Il est important de souligner que le soutien scientifique pour 3013 est très important. Ça a permis au OFF de prendre du recul sur ce qu’ils ont fait et d’avoir davantage confiance en leurs projets.

 

Finalement, vous confortez les membres du OFF dans leurs intuitions…
Mes analyses « pragmatiques » les rassurent. Actuellement, je pilote un projet mené avec des étudiants qui est directement lié au CNRS. Cette équipe d’étudiants travaille sur le camping participatif YesWeCamp pour trouver des solutions concernant sa pérennisation et son avenir économique. Ce camping est l’un des projets phare du OFF et il m’importe de pouvoir mettre mes compétences de chercheur au service de sa « survie ». Dans cette optique, on organisera en juin prochain un colloque scientifique consacré au camping, à Aix-en-Provence. Une démarche valorisante dont je ne suis pas peu fière…

Propos recueillis par Pauline Puaux