L'Estafette © VINCENZO !

Identités remarquables : Tony S

L’aventurier intérieur

Avec son Estafette customisée en Walkabout Sound System, le Marseillais Tony S pose ses platines à la Fiesta. Faisons le point sur son vivifiant « Tour de France en 45 Tours ».

Pendant toute la durée de la Fiesta, vous n’allez pas la manquer : une Estafette d’époque métamorphosée en discomobile, rutilante, pétaradante, avec galerie de toit escamotable et enceintes posées à même la bête. Partout où elle est passée, cet été sur les routes de France, jusque dans les bleds les plus paumés, elle a attiré sur elle les regards, les sourires, la même stupéfaction. C’est ainsi : avant de vous happer par les oreilles, elle s’empare directement de vos yeux, parce que c’est déjà une star. Curieusement, le mec qui lui a donné naissance n’en est pas une, en ce sens qu’il est aux antipodes de toute forme d’attrait mal placé pour la lumière, caché depuis toujours derrière l’amour indéfectible qu’il porte à la musique et aux musiciens. Et pourtant.

Ombre est lumière

Tony S, alias Anthony Suarez, alias Selector Phobos, fait partie du paysage musical local depuis une bonne quinzaine d’années. Il a commencé par monter une revue indépendante (Scratch – quinze numéros de 1996 à 2002) à une époque où l’on pouvait encore parler de hip-hop à Marseille sans que cela ne tourne à la pignolade. Ensuite, et dans le désordre, il a organisé des concerts, été programmateur (feu le Poulpason), graphiste (des travaux de communication visuelle pour bon nombre de structures musicales d’ici), et continue aujourd’hui d’être à l’initiative de petits événements disséminés dans divers bars du centre-ville. C’est un homme de l’ombre, comme on peut vraiment le dire, mais tous ceux qui touchent ici aux musiques noires (soul, funk, jazz…) le connaissent. Et louent son honnêteté, sa discrétion, sa légitimité surtout, pour se mettre au service d’une passion qu’il n’a jamais cherché à rendre profitable, dans cette ville qui est la sienne, une ville qu’il a rarement eu l’occasion de quitter. Mais voilà, il y a deux ans, germe en lui cette idée alors qu’il se trouve dans une fête de village : mais où est donc passée la discomobile ? Ou tout du moins l’idée un peu désuète que l’on s’en fait, passée au filtre de nos souvenirs et d’une époque où les choses étaient forcément plus simples. L’idée fait gentiment son chemin, mais il faudrait partir seul à l’aventure — ce n’est jamais une mince affaire. Et puis surtout, il faut le véhicule, pas n’importe lequel, qui doit trouver le raccord avec une esthétique « vintage » promue musicalement par Tony. Les choses s’accélèrent soudainement lorsqu’il déniche enfin la bonne affaire, au début du mois de juin : une Renault Estafette récemment remise en état. En un mois, la camionnette est customisée par des proches qui s’investissent bénévolement (le graphiste Vincenzo, le collectif Decoblasters pour la réalisation). Quelques autres (les équipes de la Mesón, du Bar de la Plaine et de La Part des Anges) viennent sponsoriser cette histoire à hauteur d’homme, qui bénéficie d’une première date déjà calée à la Gaité Lyrique (Paris) dans le cadre d’une expo sur la culture sound-system. En parallèle, Tony a la bonne idée de soumettre son projet à la plateforme de crowdfunding Kiss Kiss Bank Bank. En un mois toujours, il collecte 1300 euros pour un objectif initial de 1000 nécessaires à la validation de l’entreprise. « Aidez Tony S à continuer son périple et achetez-lui des kilomètres ! » peut-on lire sur sa page : ça marche, et le voilà qui part fin juillet pour effectuer son Tour de France… en 45 Tours.

Tony S © Gilles Rof

Tony S © Gilles Rof

 Le bon tempo

« L’idée d’utiliser ce format s’est imposée pour des raisons pratiques : c’est facile à transporter. Sur le 45 tours, il n’y a que le “bon” morceau, avec un visuel. J’adore ce support, je m’y suis vraiment intéressé ces dernières années. L’autre idée, c’était que ce soit participatif : proposer aux gens, dans les villages, de ressortir leurs 45 tours. Et leur montrer le parallèle entre la musique française « yé-yé » des 60’s et les originaux de soul américaine, dont elle a souvent été adaptée. Je n’avais jamais beaucoup voyagé jusqu’à présent. C’était comme un challenge, je voulais découvrir le pays. » Pendant 45 jours et quelques 4300 bornes parcourues en roulant à 30 km/h en moyenne (sic), la camionnette se balade successivement dans la Drôme, le Beaujolais, la Bourgogne, les Côtes-d’Armor, le Finistère, la Loire-Atlantique, la Vendée, le Lot-et-Garonne, les Landes, le Gers… Un véritable éloge de la lenteur doublé d’un retour à un vieux fondamental : avant d’aller parcourir le monde, commence par regarder autour de toi, et peut-être y trouveras-tu matière à mieux te connaître. Le « Walkabout Sound System » tire en partie son nom d’un rite initiatique pratiqué par les Aborigènes qui, à l’adolescence, partent seuls dans le désert et doivent apprendre à s’y débrouiller, pour à leur retour être considérés comme adultes par la communauté. Il n’est sans doute pas nécessaire de filer la parabole à son terme : en trouvant le point d’équilibre entre le moderne (les nouveaux usages de l’Internet) et une certaine nostalgie pour un âge d’or révolu (la discomobile poussive qui renoue avec son auditoire perdu et les guinguettes d’antan), Tony S vient juste de synthétiser, à son échelle, un petit peu de l’air du temps. Belle performance.

PLX

Les 18, 19, 25 et 26 à la Fiesta des Suds.
walkabout-sound-system.tumblr.com
www.kisskissbankbank.com/le-tour-de-France-en-45-tours

L'Estafette © VINCENZO !

L'Estafette © VINCENZO !