Festival Reevox au GMEM

Festival Reevox au GMEM

L’Interview
Christian Sebille

A la fin du présent/plaisant entretien, Christian Sebille, nouveau directeur du GMEM, et instigateur du festival Reevox fermement opposé à la parole unique, m’indiqua non sans humour que je pouvais modifier, voire contredire ses propos selon mes propres opinions. Intéressante proposition… Seulement, je me suis efforcé de faire tout le contraire, et tiens d’ores et déjà à m’en excuser.

Tout d’abord, vous sentez-vous bien au GMEM ? Avez-vous pris vos marques ?
Oui (rires). Super équipe, supers projets… tout va bien.

Des projets ?
Pouvoir à nouveau accueillir du public dans le lieu, mais également développer le partenariat autour de l’accueil d’artistes : nous allons pas mal travailler sur la production, le suivi de projets d’artistes qui nécessitent de l’attention.

Marseille vous plaît-elle ?
C’est une ville formidable. Ça fait huit mois que j’habite ici, je viens de Reims. Culturellement, ces deux villes n’ont rien à voir. Reims est une ville tranquille, assez riche. On sent qu’à Marseille, ça bouillonne, la répartition de l’argent n’est pas la même, c’est une ville beaucoup plus populaire, plus vivante, grande, et je trouve que l’on sent beaucoup plus de nécessité d’y développer un travail.

Est-ce ce qui vous a poussé à quitter le Césaré, Centre national de création musicale de Reims, que vous avez vous-même fondé ?
Non, j’y étais depuis dix-huit ans et j’avais envie de partir depuis un certain temps. Mais j’avais également envie d’aller au bout de mon projet parce que je suis quelqu’un d’assez pugnace.

Et vous connaissiez le GMEM, du temps de Raphaël De Vivo ?
Oui bien sûr, j’étais venu travailler ici en tant que compositeur, j’y ai même enregistré un disque.

Quel est votre point de vue sur Marseille Provence 2013 ?
Je pense que c’est une grande chance. D’un côté pour Marseille, mais aussi pour la France, du fait que ce soit Marseille qui la représente sur le plan européen. Il y a ici une énergie incroyable et je crois que l’on en a bien besoin, plutôt que d’être dans un discours quantitatif… J’y crois, malgré tout ce qui a été dit et la façon dont ça a été organisé, qui n’a peut-être pas été la plus habile. Mais je pense que la ville, elle-même, va réussir à s’emparer de l’outil pour en faire quelque chose.

Avez-vous déposé des projets ?
Oui, plusieurs. J’ai voulu défendre le fait que le GMEM soit un lieu de production et que l’on pourra aider des projets inscrits dans MP 2013, sans demander d’argent. On va de fait en soutenir beaucoup, comme ceux d’Etienne Rey, Sébastien Roux… Et un autre entre Berlin et Marseille, une nuit multidisciplinaire et musicale à la Campagne Pastré…

Vous semblez très attaché à cette diversité en matière artistique. Mais comment la définissez-vous ?
Je parlerais plutôt des diversités. Une diversité des partenaires, d’où le fait que j’ai voulu rencontrer tout le monde pour voir ce qui est fait avec la musique à Marseille, et comment, par la suite, structurer quelque chose avec le GMEM. Une diversité des formes, également : j’insiste beaucoup sur le fait que l’on doit inviter le public, les lycéens, les collégiens, les enfants, à venir s’étonner et découvrir des choses avec nous. D’où le festival Reevox, principalement axé sur l’électronique, autour du public jeune, en collaboration avec le Cabaret Aléatoire. Je suis très content de ce partenariat. Lorsque l’on s’intéresse à la diversité, je pense que l’on ne peut pas dire « Je fais de la diversité », mais plutôt se demander et chercher comment on peut l’accepter. Parce qu’elle est insupportable au départ. Il faut prendre du plaisir à être déstabilisé.

Se faire contredire a du bon…
Sinon à quoi l’art sert-il ? Sans cela, on fait tous de la musique militaire, et puis voilà, tout le monde est d’accord, un-deux, un-deux, et en route…

Faites-vous face aux mêmes défis que vous avez dû relever à la tête du Césaré ?
Le principal objectif, à savoir défendre la production d’une musique contemporaine, est le même. A quoi ça sert de mettre de l’argent dans la culture ? Et que défend-t-on quand on fait ça ? Une image du bonheur ? De la diversité ? J’ai des avis très précis là-dessus. Mais après, ce ne sont ni les mêmes territoires, ni les mêmes enjeux.

Comment s’est montée la programmation du festival Reevox ?
Elle ressemble à un parcours. On a travaillé, ensemble, avec le Cabaret Aléatoire. Nous avons essayé d’être cohérents dans les couleurs. Ce sont des projets sérieux, d’artistes engagés. On est dans un parcours de découverte, avec des petites propositions, dans quelque chose de mesuré.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus à propos du clin d’œil au symbole de la musique concrète qu’est le magnétophone à bande, le Revox ?
Il y a plein de choses dans Reevox, tout d’abord « vox », la voix, et bien sûr Revox, le magnétophone, qui véhicule quelque chose d’historique et d’électronique, mais pas forcément vintage.

Vous êtes venus vous installer à Marseille, vous programmez des projets comme Roadmusic ou Immensity of the Territory, aux noms évocateurs, vous accordez une place importante à la notion d’espace en tant que compositeur… Est-ce que la route vous tient à cœur ?

Oui, beaucoup. Quand on voyage, on s’enrichit, on se questionne. Je connais assez peu de compositeurs qui n’ont pas bougé. Par exemple, quand on regarde les musiques américaines, répétitives, on peut voir comment elles se sont inspirées de la musique balinaise. Le voyage brasse les influences. Mais un voyage, ce n’est pas forcément partir, on peut voyager dans sa tête. Une aventure amoureuse peut être un voyage incroyable.

Quelle est l’œuvre qui vous le plus marqué ?
Répondre à cette question irait contre tout ce que je pense. C’est un ensemble qui crée un espace d’imagination. Le « un » empêche tout. Si l’on veut pouvoir penser, il faut sortir de l’unicité et de la répétition. C’est pour cela que je parle d’inviter le public au voyage, à prendre le temps d’écouter, en lui expliquant pourquoi telle ou telle musique nous plaît, nous touche. Prendre quelqu’un qui n’a jamais écouté un concert et le mettre dans une salle avec une heure et demie de Stockhausen est un supplice. Je pense que l’on aime les choses lorsqu’on les comprend.

Qu’est-ce qui est novateur ?
Des formes d’écritures par exemple. Il y a des gens qui écrivent de la musique avec un crayon et du papier et qui font des choses bien plus novatrices que d’autres avec quinze ordinateurs. On a besoin de sens, peu importe le support. Ce qui est novateur ? C’est toute la question de la modernité. Qu’est-ce qui peut être moderne ? Il y a des œuvres qui m’ont semblé absolument grandioses lorsque je les ai écoutées, mais ringardes trois ans après. Et d’autres que je n’ai pas du tout comprises au départ mais qui tiennent encore la route. Luc Ferrari, par exemple, tient toujours. Et pourtant… Quand j’étais son assistant, on écoutait les bandes d’enregistrements ensemble, il me donnait un top et schlack, un coup de ciseaux ! On sent d’ailleurs très bien ces cassures dans certains morceaux. Il voulait absolument toujours casser. Si sa musique prenait une direction, il lui en faisait prendre une autre. Sa vie était comme ça, sa musique aussi. Elle est là, l’essence de l’œuvre.

A l’inverse, qu’est-ce qui n’est pas novateur ?
Celui qui pense avoir raison. En général, il m’étonne rarement. Lorsque l’on entend ce qui était prévu d’entendre. Lorsque l’on se dit : « Oh, il sait bien écrire ».

Pensez-vous que la musique est plus présente dans nos vies aujourd’hui que par le passé ?
Oui, forcément. Si vous vouliez écouter de la musique au Moyen Âge, il fallait que quelqu’un joue dans la rue. La musique est désormais partout. Après, l’entendre et l’écouter sont deux choses différentes. La musique est l’un des arts qui provoquent le plus de violence. Des gens qui quittent un concert car ils sont dérangés peuvent avoir des réactions très violentes. Ils ne se contentent pas juste de dire qu’ils n’ont pas compris, ils vous insultent. La musique touche à l’origine, au plus profond de l’individu.

En tant que compositeur, vous pratiquez entre autres le Field Recording, à la recherche de matériaux sonores. Quel est le son, découvert lors d’une de ces sessions d’enregistrements en extérieur, qui vous a le plus marqué ?
Certaines prises de sons sont déjà, en elles-mêmes, des compositions. Il n’y a rien à faire, juste à les écouter. Je me souviens de la traversée d’une rue camerounaise vraiment incroyable… Une matinée à Lisbonne, un dimanche matin… Une église à Berlin, sublime. Une prière à Moscou, avec les crépitements de chandelles, absolument magnifique. Et les bords de la mer à Buenos Aires, où des gens dansaient le tango sur la plage. Par contre, je n’ai pas un son particulier ; comme je l’ai dit, je n’aime pas trop l’unicité.

Quel regard portez-vous sur vos œuvres ?
C’est un rapport vital. Je suis vraiment dans un rapport artisanal à mes œuvres. Je ne pense pas que l’œuvre soit la transcendance de l’être. Ce rapport à l’œuvre est nourri selon les périodes de la vie. Enfin, j’aime bien l’humilité, donc le mythe du héros, de l’unique, m’ennuie. C’était bon au XIXe siècle. On a passé tout le XXe siècle à s’en débarrasser, et à quel prix !

Vous parlez du héros de la culture pop ?
En quelque sorte. Ce qui arrive dans les musiques populaires provient en général des musiques savantes. On pourrait presque dire qu’il y a de la pop dans Wagner et Mahler. Quand on regarde le nombre de compositeurs aujourd’hui, c’est impressionnant. Est-ce que certains vont être au-delà des autres ou est-ce que, en fait, la culture du XXIe siècle sera plus une culture du patchwork dans laquelle on se dira : « Tiens, sur telle période de sa vie, cet artiste a écrit l’essentiel de son œuvre » ? Des musicologues pensent que Mozart avait tout dit à vingt-cinq ans.

Comment voyez-vous le futur ?
Vivant.

Propos recueillis par Jordan Saïsset
Photo : Joe?l Assuied

Festival Reevox : du 2 au 11/02 au GMEM (15 rue de Cassis, 8e), à l’Annexe du Conservatoire à Rayonnement Régional (Salle Zino Francescatti, 13 rue Melchion, 5e), à Klap (5 Avenue Rostand, 8e) et au Cabaret Aléatoire (41 rue Jobin, 3e). Rens. www.gmem.org

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Reevox, en accéléré
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Roadmusic : présentation d’une « boîte noire qui, à partir de la captation des mouvements d’un véhicule et du paysage défilant, crée de la musique en temps réel. »
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_Jeudi 2 au GMEM.

Emergence + Séances d’écoute : un « concert dédié aux jeunes compositeurs de musique électroacoustique du Conservatoire de Marseille », suivi d’une invitation du compositeur Sébastien Roux « à une écoute spatialisée d’œuvres choisies de son répertoire. »
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_Vendredi 3 à l’Annexe du CRR.

Immensity of the territory + Un œil sur la chose : un « vidéo-live mixant fragments sonores et visuels enregistrés lors d’une traversée des Etats-Unis d’Est en Ouest », suivi d’un spectacle musique et danse, « une jolie narration sensuelle » d’Aurore Gruel, François Klein et Hervé Birolini.
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_Samedi 4 à Klap.

Phono-portrait : « Le public plongé dans la pénombre et le corps installé en légère suspension dans des transats se laissera porter par la douceur et la précision des œuvres électroacoustiques » de Benjamin Dupé, Vincent-Raphaël Carinola et André Serre-Milan.
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_Mercredi 8 au GMEM.

Egrégore & eRikm & Etienne Jaumet : Le premier « tisse une toile entre les perceptions de l’ouïe et de la vision », le deuxième retrouve ses platines pour « une performance où seule la sensibilité arrive à faire oublier la virtuosité », tandis que le troisième propose un voyage « résolument cosmique entre nappes vintage, boucles de synthés et complaintes de saxophone. »
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_Vendredi 10 au Cabaret Aléatoire.

Caravaggio & Acid Washed & Bruit Fantôme : Le premier « rassemble en un groupe amplifié des écritures instrumentales, électroniques et d’inspiration pop-rock », les deuxièmes « pourraient simplement être les héritiers d’une french touch des Daft Punk et d’une disco de DFA », tandis que le troisième propose un live « aux sons électros futuristes et kosmiques teintés de sons vintages. »
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_Samedi 11 au Cabaret Aléatoire.