Identités Remarquables | Gustavo Giacosa
La vie des morts
Dans le cadre de son mois sur l’art brut, le Théâtre Liberté de Toulon invitait Gustavo Giacosa pour sa dernière création. L’occasion de rencontrer cet artiste italo-argentin qui vient d’installer sa compagnie SIC.12 à Aix-en-Provence.
Gustavo Giacosa aime prendre le temps de se poser en tête-à-tête pour mieux dérouler le fil de sa pensée. Son discours n’a rien d’établi, il peut changer et s’inverser, mais le fond de la pensée reste présent à certaines priorités dans la construction d’une philosophie de la scène. « Mes grands-parents italiens ont émigré en Argentine pour échapper à la famine et à la guerre. Le gouvernement argentin a instauré un plan de développement avec la possibilité d’acquérir des terres à bas prix et des outils agricoles. Je suis né dans un petit village à Sunchales et j’ai grandi dans cette dimension de l’espace. » Dans Nannetolius Meccanicus Saint, il s’empare de la mémoire de Fernando Oreste Nannetti (1927-1994), interné pendant neuf années à l’hôpital psychiatrique de Volterra en Italie. Pendant son séjour, Fernando va graver des mots sur les pierres du bâtiment, créant un livre ouvert sur soixante-dix mètres de long. L’art brut est devenu, grâce à Jean Dubuffet et au Musée de Lausanne, qui lui est consacré, un territoire très prisé par les collectionneurs, mais pas seulement. Il est possible, dès le plus jeune âge, d’aborder la peinture par l’angle de l’art brut, plutôt que par celui de la Renaissance ou de l’impressionnisme. Car les artistes de ce mouvement ne commercialisent pas leurs œuvres et n’appartiennent pas au système marchand. Ils se consacrent pleinement à la nécessité d’exprimer, par une action répétitive, un schéma de représentation propre à remplir une surface illimitée. Et l’on voit bien, à travers ce système de représentation, que des artistes comme Dubuffet, Niele Toroni ou Claude Viallat ont pu y puiser une formidable source d’inspiration. L’art brut a exposé un autre regard sur la folie. Jean-Paul Sartre parle d’ailleurs de rêve éveillé et révèle ainsi le formidable potentiel de l’imagination qui en découle. « Les artistes bruts nous apprennent la gratuité. La normalité nous impose une direction, l’art brut nous en montre une autre, il nous remet les pieds sur terre. »
Dans Nannetolicus Meccanicus Saint, Gustavo Giacosa s’empare du corps de Fernando Oreste Nannetti. Il le transcende et l’emmène dans un monologue où l’imaginaire et l’écriture automatique s’entremêlent avec le one man show et l’extase de l’acteur. La partition au piano de Fausto Ferraiuolo vient se poser sur la respiration d’un corps agile. Tout se confond dans une transe qui exhibe chaque partie de l’homme. « Le numérique est une blague qui nous raconte la même chose. Le monde onirique, le rêve, le cauchemar, c’est un travail de plongée qui communique un univers au public. C’est beau de se laisser aller. Je suis demandeur du public et de sa réaction. La voie artistique est une recherche de l’extase et l’au-delà (les fantômes, les morts) une potentialité artistique. Je suis bouddhiste, je suis persuadé du lien entre les vivants et les morts. La vie et la mort se relient comme la nuit et le jour. »
Gustavo Giacosa exprime un prolongement singulier du théâtre italien où le caractère se démultiplie dans une succession de personnages du répertoire. A la fois orateur, chanteur, arlequin et diablotin, le corps à nu et dénué d’artifices se démultiplie dans l’espace pour remonter le temps et l’histoire. Il attrape la main d’un souvenir perdu. Il se colle à l’être cher, l’embrasse et l’habite. Gustavo Giacosa a rencontré le pianiste Fausto Ferraiuolo dans la compagnie de Pippo Delbono. Après vingt années de vie commune, ils se sont mariés en 2014. « Cette pièce est possible, parce qu’il y a une complicité entre nous deux et une connaissance de l’autre. C’est un spectacle intime. L’important, c’est d’avoir un regard qui se pose sur toi dès le départ. Son travail au piano est très minutieux, c’est une trame serrée qu’on affine, qu’on règle. » Comment quitte-t-on la compagnie du gigantesque Pippo Delbono pour venir s’installer à Aix-en-Provence ? Il y a une certaine idée du deuil dans tout ça, mais aussi la possibilité de reconstruire « la maison » (du nom de son précédent spectacle) et d’y inviter ses nouveaux amis pour se raconter d’autres choses. « J’ai choisi Aix-en-Provence, parce que plusieurs personnes m’ont encouragé à créer ma compagnie là-bas. Les bébés grandissent vite et il s’est passé beaucoup de choses en peu de temps. J’ai besoin de temps, je ne travaille pas avec un texte. Les créations sont trop souvent préparées à la table, ça devient rationnel : time is money. Pour une jeune compagnie, ce qui est important, c’est de créer de vrais rapports avec la direction d’un théâtre, de trouver un compagnonnage. Le spectacle, c’est la pointe de l’iceberg. Je suis heureux et chanceux d’avoir le soutien du Bois de l’Aune, du 3bisF, du Merlan et aujourd’hui du Théâtre Liberté. »
Karim Grandi-Baupain
- La Maison était présenté les 29 & 30/09 au Bois de l’Aune (Aix-en-Provence) et le 4/10 au Théâtre Liberté (Toulon).
- Nannetolicus Meccanicus Saint était présenté les 11 & 12/10 au Théâtre Liberté (Toulon).
- Pour en (sa)voir plus : www.sic12.org/gustavo-giacosa