Identités Remarquables : Stryker
Back in Black
Il s’appelle Philippe mais il est connu dans le milieu du rock marseillais sous le sobriquet de Stryker. Son domaine ? Le rock : hard, metal, gothique et punk. Son parcours ? Vingt ans d’implication comme organisateur de concerts, service d’ordre, gérant d’association et tenancier de bar rock.
Je pousse la porte de son antre, Sabre-Tooth, un magasin de disques ouvert depuis neuf ans. Stryker officie drapé d’un t-shirt Motörhead. Derrière lui, des photos encadrées où il pose à côté du batteur des Ramones, de Lemmy de Motörhead et bien d’autres encore. Deux ados en piercings et Doc’ rentrent en effeuillant des flyers, remorquant un groupe de costauds plutôt crânes rasés et treillis. « Ce sont des Russes qui jouent ce soir à Marseille », explique l’un d’eux. Et les Slaves de se jeter goulûment sur le magasin : ils fouillent dans les bacs, effleurent les vêtements suspendus à côté de l’entrée où les t-shirts siglés Korn ou Soulfly cohabitent avec des grenouillères noires frappées AC DC, Iron Maiden ou Megadeth. Plutôt inhabituel dans ce type de magasin, non ? « Ah, mais c’est que j’ai mes sources ! Et ma fille en a porté aussi, de ces grenouillères ! » explique Stryker. Un des camarades Popov brandit un vinyle : « – Can I listen ? – No problem. » Stryker s’empresse avec le disque et lâche les quelques mots de russe qu’il connaît. Qu’est-ce qui a changé dans cette musique en vingt ans ? « La musique évolue avec les instruments et les technologies, mais des groupes ont posé des références incontournables. Et l’énergie du rock reste la même. Des groupes ont la haine, d’autres sont plus commerciaux et d’autres continueront de jouer dans leur cave, ça existera toujours… A Marseille, il y a moins de groupes très amateurs et davantage de locaux de répétition ; les groupes arrivent sur le marché des concerts avec des heures de répet’, le son est moins artisanal. » Dans une scène essentiellement blanche, pas un peu « hard » d’être le seul black face à un public qui peut parfois se braquer là-dessus ? Stryker hausse les épaules avec tant d’énergie que ses pattes flirtent avec ses omoplates : visiblement, on lui a posé la question une bonne centaine de fois. « Que ce soit en tant que membre du public ou d’un service d’ordre, je suis un être humain en face d’autres êtres humains et nous sommes rassemblés pour faire la fête tous ensemble. Les “faf”, j’en ai croisés plein. S’ils veulent rentrer et délirer en concert, pas de soucis. Mais je leur disais “Les mecs, vous laissez les insignes dans la voiture : vous êtes à un concert, pas à un meeting. Un point c’est tout.” » Le meilleur souvenir d’un concert marseillais que tu as organisé ? « Peut-être une soirée AC DC pour la Maison Hantée, en 92. Le même soir, il y avait une soirée étudiante à l’Espace Julien. On s’est battus avec les organisateurs par affiches interposées pendant toute la préparation. Lorsque je suis arrivé le soir du concert, j’ai vu une file immense devant l’Espace Julien, mais en tournant au coin de la rue, j’ai vu à peu près cent cinquante personnes devant la Maison Hantée, hallucinant ! On a fait trois cents entrées. » La scène marseillaise ? « Réduite. Pour la deuxième ville de France, c’est pitoyable. Tout de même, le premier festival de trash en France, c’était au Trolleybus qui s’appelait à l’époque l’Arsenal des Galères, en 86. A Marseille dans les années 80 et 90, il y avait six émissions de hard rock à la radio. Mais cela a disparu. Il y a actuellement un boycott radiophonique local de cette musique, je ne sais pas pourquoi. Mais l’avantage pour les jeunes maintenant, c’est qu’il y a Internet. » Alors, le hard serait-il démodé en France ? « Tu crois ? Alors regarde un peu les ventes de disques ! Et les concerts : Metallica remplit Bercy sans problème. » L’endroit le plus dingue où tu as vu un concert ? La réponse fuse : « Lourdes ! Un festival de trash en 89, avec Holy Moses, Sabbat et Sodom en têtes d’affiche. » Je médite un instant sur ce mélange surréaliste de pèlerins… un ange passe. Et pour résumer, le rock dans tout ça ? « C’est fédérateur. Cette musique abat les barrières. Ici, je vois passer de tout : toutes les origines, toutes les couleurs de peau et toutes les catégories socioprofessionnelles. J’ai des clients flics, banquiers, patrons de boîte, fonctionnaires, médecins, étudiants. J’ai un pote qui a travaillé au Liban pendant les années de guerre ; ça tirait à tous les coins de rue. Un jour, il est passé dans une rue de Beyrouth où il a entendu du rock : ça venait d’un petit club qui était resté ouvert. Il a halluciné : le mec à l’entrée, c’était un punk avec une crête montée de quarante centimètres. D’un coup, il est entré dans un autre monde, sans barrières. » Alors, le rock, c’est… un drapeau ? « Oui ! Et un sacré drapeau, parce qu’il est universel. » Long life to rock n’ roll.
Bénédicte Jouve
Sabre-Tooth, 19, rue des Trois Mages, 1er.
Rens. 04 91 48 39 29 / www.sabre-tooth.net