L’Histoire du rock à Marseille de Pascal Escobar

Millefeuille | Histoire du rock à Marseille (1980-2019) de Pascal Escobar

La quarantaine rugissante

L’éditeur Le Mot et le Reste poursuit son entreprise de réhabilitation du rock phocéen entamée en 2017. Aux manettes de ce second opus, l’un des acteurs majeurs de la scène locale pendant un quart de siècle, le musicien Pascal Escobar, qui a remisé guitares et amplis pour se consacrer à l’écriture. Plongée dans les entrailles du rock marseillais pour en extraire le mojo.

 

Rendez-vous dimanche matin dans un bar du Camas. Au menu, la folle histoire du rock marseillais depuis le début des années 80. Rien que ça. Le cuir sanglé, le fond de l’air pique, on est en novembre, Pascal Escobar pousse la porte du café, pile poil à l’heure, avec ce mélange d’assurance et de désinvolture qui émane de ceux qui peuvent enfin récolter les fruits de leur labeur.
Deux ans de recherche et d’écriture ont été nécessaires pour compiler en quelques 350 pages quarante années de rock made in Marseille : 80 groupes interviewés, 400 formations évoquées. Sans compter la flopée d’activistes qui gravitent autour de cette scène musicale : salles de concerts, associations, collectifs, disquaires, labels… Davantage qu’un travail historique, c’est bel et bien d’un état des lieux dont il s’agit, un tiers des groupes et des structures étant toujours en activité.

Café, cigarette électronique au bec, le quarantenaire avoue s’être refait une santé après des années d’abus en tout genre. Il a arrêté la musique, comme d’autres arrêtent l’alcool, et chronique désormais sa vie révolue de punk rocker dans le fanzine toulousain Dig It ! Avec une propension à décortiquer le quotidien que ne renierait pas Hunter S. Thompson. Avec son CV de rocker à rallonge, le guitariste, qui a usé ses boots sur les scènes underground hexagonales et européennes au sein d’une multitude de combos (Gasolheads, Neurotics Swingers ou encore Keith Richards Overdose), était l’un des mieux placés pour extraire la substantifique moelle du rock phocéen.

Le premier tome consacré aux décennies 60 à 80 était empreint de la patte d’historien de Robert Rossi (Quartiers Nord). Un travail de mémoire sans lequel, il faut bien l’avouer, bon nombre des protagonistes auraient été renvoyés aux oubliettes de l’histoire du rock. Son auteur en avait d’ailleurs bavé, mettant près de dix ans à finaliser son projet. Une approche avec laquelle Pascal Escobar a tenu à se démarquer en écartant, autant que faire se peut, les éléments factuels, pour se polariser sur la petite histoire : « L’histoire du rock pour moi, c’est les histoires. Et les histoires, c’est la chair et le sang des mecs qui ont vécu le rock : qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as fait ton concert d’adieu à la Machine à Coudre ou quand tu t’es pris une super cuite à la Maison Hantée en 88. »

Dans la cité où le rap fait la loi et remplit les stades, ce sont les rockers qui ont fait main basse sur la ville. Comme toutes les bonnes choses, le rock marseillais se mérite. Il faut sortir des sentiers battus et pousser les portes des salles nichées au détour des ruelles de la Plaine, du Cours Julien et de la Belle de Mai pour écouter, aujourd’hui, Catalogue ou 25, hier les Terrifik Frenchies, Aggravation, Crumb, Nitwits, Quetzal Snakes et tant d’autres. Cette emprise du rock dans le tissu urbain n’a pas toujours été de mise. Au début de la décennie 80, Marseille, c’est « le désert de Gobi », rappelle Pascal : il n’y a ni fanzine, ni disquaire spécialisé et les groupes peinent à jouer hors les murs. C’est ce qu’on appellera l’ère du rock marseillo-marseillais. La situation évolue avec l’ouverture, en 1985, de la Maison Hantée aux abords du Cours Julien tout juste réhabilité. Sous la houlette de Yann Doullay, la rue Vian devient le rendez-vous phare des rockers qui s’y pressent chaque week-end pour faire le plein de décibels. On y programme du punk, du metal, du garage, du rockabilly. Du rock, quoi.

L’autre « pic du rock marseillais », c’est l’inauguration en 1997, au cœur de Noailles, de la Machine à Coudre. Grâce à Philippe Jazarin, à qui le livre est dédié pour services rendus au rock’n’roll, des générations de musiciens ont pu se frotter à la réalité poisseuse de la scène. Cette salle cultissime, qui a définitivement fermé ses portes en 2018 (victime collatérale de la catastrophe de la rue d’Aubagne), fut bel et bien « le club que mérite toute grande ville, où peut s’exprimer le sentiment d’appartenance sans lequel aucune scène ne peut exister. » Cette réalité de la scène marseillaise est d’autant plus palpable que l’ouvrage est parsemé de témoignages d’anonymes qui racontent, chacun, leur histoire du rock.

Escobar convoque les groupes qui ont marqué leur temps. On découvre la scène new wave florissante des 80s avec le fer de lance que fut Martin Dupont. Au début des 90s, Nicolas Dick pose avec Kill the Thrill les bases d’une formation qui ne cessera d’être aux avants postes de l’underground européen. Plus tard, au tournant des années 2010, les scènes locales accueillent les membres de l’écurie Microphone Recordings, le label pop rock de Marseille. Le groupe Oh! Tiger Mountain fait la une des Inrocks, braquant ainsi les spotlights sur la ville.

En refermant ces pages domine le sentiment d’un formidable vivier musical dont l’effervescence et la diversité sont les marques de fabrique. À des années lumière de la réputation de ville la moins rock de France que la cité phocéenne se traine depuis des lustres. Un ouvrage qui fera référence et qui devrait, une fois pour toutes, remettre les pendules à l’heure.

 

Emma Zucchi

 

Dans les bacs : L’Histoire du rock à Marseille Pascal Escobar (Éditions Le Mot Et Le Reste)