Jeux de société
Van Loo et Aix-en-Provence, c’est une longue histoire. C’est d’abord le nom d’un peintre, qui a donné son nom à une rue, qui a donné son nom à une brasserie, qui a elle-même donné son nom à une maison d’édition. Les Editions Vanloo, donc, comptent bien faire leur place dans les sphères impitoyables du polar, de la chronique sociale mais encore de la science-fiction. On a bu un café avec Philippe Hauer.
« C’est très con, mais j’ai envie de publier des bons livres. » Philippe Hauer n’y va pas par quatre chemins pour présenter Vanloo, cette maison d’édition associative qu’il s’est décidé de monter à bout de bras il y a presque un an. Un véritable défi, qu’il s’est d’abord lancé par nécessité, celle d’écrire, et d’en faire un métier, mais aussi par plaisir de trouver et d’accompagner des auteurs dans des domaines qui n’auraient a priori rien avoir les uns avec les autres. L’adage est simple : « Lire écrire publier ». Mais s’il s’agit de balayer un large spectre, ce n’est pas sans laisser transparaître au fil des écrits une fascination pour le quotidien. Une véritable philosophie, laissant entrevoir un attachement viscéral à l’actualité. Comme un lien profond avec le fait social, et la vie de tous les jours, celle qui tort le coup aux grandes révélations. « J’aime bien faire les choses uniquement pour ce qu’elles sont. Je n’ai pas la prétention d’écrire le meilleur roman du monde. Mais je veux qu’il soit honnête. Quand tu écris, tu apprends, comme à l’école. Il y est pas mal question de technique, et je n’ai pas la prétention de la détourner. L’univers du polar, par exemple, permet un certain nombre de choses, prendre des libertés tout en construisant une structure conventionnelle. Et apprendre, c’est prendre petit à petit conscience de ce que tu es en train de dire sur le monde. Mais au départ, tu ne sais pas exactement de quoi il s’agit. A l’inverse, si dès le départ tout te semble clair, il vaut mieux ne rien dire. Quelque part, écrire, c’est l’art de savoir fermer sa gueule. » Philippe, qui se définit lui-même comme un « intellectuel des sous-bois », avoue d’ailleurs fuir « les auteurs qui veulent révéler une grande vérité. » En témoigne le catalogue naissant de Vanloo : ici, pas de grandes abstractions, ni de grands récits ou de grands héros, mais des gens que l’on connaît, ou presque, lancés dans des situations étonnamment plausibles. A l’instar de Baptiste Mallemort, le personnage imaginé par Jean-Philippe Demont-Pierot, qui sera tour à tour confronté le long d’une série actu-fiction à ces jeunes Français qui partent faire le djihad en Syrie ou à un complot criminel d’extrême droite. Lorsque les Egodialogues de Thierry Calvier (qui devrait également signer trois tomes de science-fiction vers avril-mai) prennent un malin plaisir à dérouler des discussions a priori banales, comme autant de chausse-trape dévoilant, sur fond d’humour, une certaine forme de désespoir social. « La littérature, c’est le pont entre le dérisoire et l’indispensable », précisait Philippe à l’antenne de Fréquence Mistral… L’ouvrage est né du rassemblement d’épisodes hebdomadaires publiés via la rubrique « feuilletons » du site Internet de Vanloo. Et il faut dire que la maison excelle en la matière. Kilomètre 11, Voir Dunkerque et mourir… Plus qu’une simple forme, la série est en fait une consécration, lui permettant notamment de bosser sur l’empathie et l’immersion tout en poursuivant un travail sur la durée. Où les Chroniques d’une branleuse d’Anne David relatent sa vie de chômeuse à travers la castration sociale engendrée par une situation professionnelle inexistante. Pourtant, « ce n’est pas une analyse sociologique. Mais elle essaye de se débattre là-dedans, de l’intérieur. De façon naïve ou énervée. L’intérêt est d’essayer d’avoir un rapport sincère avec le fait de ne pas avoir de boulot, et finalement, même si elle en retrouve un, elle sera finalement encore dans cette position de chômeur. La norme sociale est suggérée à un tel point que lorsque tu n’as pas la chance d’en faire partie, tu n’es que néant. » Autre registre, autre domaine, dans les très pertinents 30 Tours de stade signés par notre homme. Trente chroniques sportives qui, comme l’explique Kid Francescoli dans la préface, « parlent de ce dont ne parlent pas les autres. » Tout un symbole pour Philippe : « Le sport, c’est le plus grand spectacle que la société se donne à elle-même. J’ai voulu comprendre les mythes véhiculés à travers ce spectacle, et m’amuser avec. Le sport actuel, c’est toujours le triomphe du modernisme, de l’homme-machine. Ce qui me fait rire, c’est que ce fantasme-là est mort au début du siècle dernier. Il a aussi connu des heures sombres pendant la Seconde Guerre mondiale, et pourtant, on continue à le véhiculer. Le sport, c’est le non-événement par excellence, l’ennui dans toute sa splendeur. L’intérêt de la chose, c’est que ça n’en a aucun. » Une fois le grand crème terminé, on laisse Philippe en terrasse, ce « point de chute où tout commence au fil d’une discussion », pour filer dans l’obscurité d’une fin d’après-midi de décembre en se disant qu’il faudra assurément suivre tout ça de près.
Jordan Saïsset
Maison d’éditions VanLoo : La Palissade – 110 cours Sextius, Aix-en-Provence.
Rens. : www.editionsvanloo.fr / www.facebook.com/editionsvanloo