François Moutin & Kavita Shah
Dans l’art trop rare du duo chant/contrebasse (et vice-versa), le projet de Kavitah Shah (chant) et François Moutin (contrebasse) vient à point nommé. Recherche d’épure, sens du groove (au sens de « sillon »), prise de risque. L’exercice, de haute voltige, repose sur ici sur une confiance absolue entre les capacités musicales de l’une et de l’autre. Et ils en ont à revendre !
Ainsi de la trop méconnue en nos rivages européens Kavita Shah : un timbre sans pareil, entre ombre et lumière, un sens du phrasé précis et une articulation ample et richement colorée. Sa grande culture musicale, issue de recherches sur les cultures chantées africaines et asiatiques, n’ignore pas la tradition jazz : en vraie native de New-York, elle s’empare des notes bleues avec une sensualité extrême (sa mentor et amie, la légendaire Sheila Jordan, que vénérait Charlie Parker, est d’ailleurs présente sur l’album où sa voix canaille fait des étincelles : émouvant passage de relais).
En serait-il autrement s’il n’y avait pas François Moutin à la contrebasse : avec son art astronomique de l’instrument, l’exilé parisien dans la Grosse Pomme est ici plus poète que jamais, jonglant avec les rythmes et les sons de la « grand-mère ». Croirait-on qu’il est le démiurge du duo, le pygmalion de l’histoire, comme le donnerait à penser cette version tellurique de « La Vie en Rose », introduite par un raga indien interprété de main de maître par le contrebassiste (le standard ayant fait l’objet d’un traitement de déconstruction/reconstruction avec son frère Louis prend ici des airs de Kama Soutra du jazz) ?
Las, Mlle Shah l’emmène dans quelque tourbillon sensuel qui le pousse hors de ses retranchements mélodiques et rythmiques, notamment dans une version hallucinante de
Interplay de Bill Evans qui, justement, donne son titre au projet. Pour (mieux… mais est-ce possible ?) jouer ensemble, ils ont même proposé au monumental Martial Solal (« mentor » de François Moutin !) de se joindre à eux sur deux titres : le mythique pianiste épice l’art du duo de capiteux effluves de liberté.
Ont-ils essayé de retrouver dans la session d’enregistrement les émotions de leur première rencontre musicale lors de quelque jam-session nocturne ? Si tel est le pari, c’est plus que réussi.
LD
> le 5 au Jam