Piezo inversé - mini FM Kowga © ∏ Node

∏-Node – Radio Fischli Weiss à Art-cade

Langueur d’onde

 

Il y a quelques jours, ∏-Node venait irradier Marseille de ses bonnes ondes : expo, concerts, expérimentations radios. Il nous a laissé un nœud à dénouer à Art-cade, la Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine : un étonnant et instructif point nodal en forme d’installation sonore, dont les rayons réfléchissent aux modalités de transmissions collectives et horizontales, tant techniquement que politiquement.

 

 

Donner à entendre les variations que chaque individualité apporte à une entité multiple, tel semble être l’objectif de Radio Fishli Weiss, l’exposition montée par une quinzaine des membres du collectif de la radio expérimentale ∏-Node. A-t-on souvent l’occasion de se projeter dans la peau, si l’on peut dire, d’un son ? D’imaginer se réverbérer, se diffracter, s’enrichir, s’assourdir, se dégrader jusqu’à l’évanouissement complet dans le néant du silence ou, au contraire, à l’immortalisation dans la boucle infinie d’un sampleur détraqué ?

∏-node a pensé à incarner le son, en nous proposant de suivre les variations du personnage via quinze modules, et autant de péripéties. Il lui faut emprunter beaucoup des modes de transport à ce jour découverts pour les sons. Nous ne penserions peut-être pas en premier qu’en tant que son, nous pourrions voyager à la vitesse de la lumière, nous diviser en milliers de pixels, puis finalement courir le long des câbles de cuivre ou de chanvre. Ou passer carrément au travers d’un bloc de granit, pour ensuite devoir attendre bien patiemment que quelqu’un·e se resserve un peu de ce petit vin au cubi, un écoulement qui établirait le pont entre deux des encablures sectionnées, pour qu’il puisse continuer d’avancer. Évidemment, à toutes les étapes de l’odyssée, notre son s’en retrouve bien changé, et devient méconnaissable

Nous voilà donc les observateur·ices privilégié·es de ses transformations, tantôt dégradations, tantôt enrichissements (il s’agit bien des deux faces d’une même pièce, tout est question de point de vue), vécus par nous et par le son. Le parcours est ludique dans sa relation entre les yeux et les oreilles, puisque du son, nous voyons l’itinéraire avant de pouvoir écouter, à chaque module, comment il s’en est sorti, comment il s’en est retrouvé changé. Les techniques des transmissions sonores revêtent là toutes leurs esthétiques, et ce, de façon didactique pour les humeurs légères, animées de curiosité, et aussi pour celles plus assoiffées de cubitainers de techniques.

C’est que, question technique, ∏-Node est bien en position de répondre. Sa ligne de bas(s)e, en tant que radio expérimentale, est de réfléchir aux modes de transmission. Au nœud dur, quinze à vingt-cinq personnes s’interconnectent : artistes plasticien·nes, hackeur·ses, informaticien·nes, musicien·nes, chercheur·euses et pirates font ∏-Node, s’organisant à la toute fin de 2013 pour commencer à transmettre des sons et, mis en abîme, à donner les clés des outils de transmission radiophoniques, et le tout de manière horizontale.

« Ce qui prime, ce n’est en fait ni la forme ni le fond, mais c’est le geste, le faire, afin que les gens s’approprient la radio. La question du contenu est aussi importante bien sûr, mais le but, là, est de créer du commun, de casser les modèles pyramidaux, verticaux de la radio. On retrouve là les modèles type Guattari […], des utopies de la radio qui se sont perdues ces dernières années. » Félix Guattari, le psychanalyste marxiste et philosophe, a été membre du Cinel — le Centre d’initiative pour de nouveaux espaces de liberté — un collectif militant qui a créé la libre Radio Tomate au début des années 80. Ce réseau rhizomatique a été un outil bien utile, au service de diverses luttes socio-professionnelles de l’époque. Le médium façonne le contenu vers une certaine politique, qui est pensée et explorée. ∏-Node assure donc des formations et promeut l’autonomie radiophonique, par exemple avec le programme né pendant le confinement Antivirus, qui permettait à qui veut de diffuser depuis chez soi. La question devient aussi la suivante : comment faire de l’art avec la radio ? Naissent alors sons, bien sûr, mais aussi sculptures et performances.

C’est tout ce qui émerge sous les formes présentées à Art-cade, en plus de proposer la métaphore d’une organisation collective idéale, parce que collégiale. Chaque module a été créé individuellement pour être intégré dans un circuit fermé, sur le mode des dominos : « C’est comme une cordée de montagne : si quelqu’un tombe, tout le monde tombe. » Véritable petite communauté, les quinze modules sont interdépendants pour former un tout, chacun augmentant de son grain, de sa prosodie, le son donné à la base. Et le choix des grains, des individualités à l’œuvre dans ce parcours, se veulent rendre compte des diversités des médias et des techniques, allant des plus contemporains aux plus historiques. L’exposition se fait d’un cheminement en cours qui aborde des questions militantes, pédagogiques et techniques, le tout en promouvant l’autonomie, loin d’un certain élitisme de l’art, de la culture et de la technologie.

 

Margot Dewavrin

 

 

∏-Node – Radio Fischli Weiss : jusqu’au 14/05 à Art-cade, Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine (35 bis rue de la Bibliothèque, 1er).

Rens. : 04 91 47 87 92 / art-cade.net

Pour en (sa)voir plus : p-node.org