24 City – Documentaire (Chine – 1h47) de Jia Zhang Ke avec Joan Chen, Zhao Tao…
Le palanquin des larmes
24 City irrite, déconcerte, intrigue, agace, interpelle. Ce maelstrom filmi How Can I Get Over My Ex Boyfriend After He Dumped Me que, sorte de vrai faux documentaire sur la disparition d’une usine dans une grosse ville industrielle chinoise, nage entre traitements (sur)stylisés et indigestes propres à un film de fin d’études et éclairs de justesse absolument éblouissants. Jia Zhang Ke a décidé de mettre en scène son exégèse des rapports et de l’impact éventuel d’une usine d’Etat (par ailleurs aussi autarcique qu’un bâtiment du Corbusier) sur la population ouvrière et sa descendance. Dans un premier temps, la touche « naturaliste » âprement désirée se noie dans une ambiance trop fabriquée, qui sonne creux et qui, par là même, ennuie rapidement le spectateur. Du Bourdieu ultra kitsch en quelque sorte… Puis, par touches très subtiles, 24 City opère sa mue, entrant par alternance dans le vif de son sujet, à savoir l’aspect inquiétant que revêt la dépendance humaine envers une entité implacable (l’usine) se nourrissant froidement de ses ouvriers pour, à son tour, nourrir des idéologies populaires douteuses. Dans ces moments-là, superbes, le documentaire appuie là où ça fait mal, rendant tragiquement compte de ce qu’Orwell évoquait dès 1948 quant à l’abnégation involontaire des masses (faute d’éclairage) et à sa manipulation. A l’évidence, les écrits d’Orwell ne relevaient pas que de la fiction. Et c’est encore d’actualité. Emus, bouleversés par leurs souvenirs, ces hommes en détresse évoquent l’absurdité de l’existence sans en avoir conscience, avec une incroyable innocence — leurs certitudes se résumant à l’oubli de soi, au devoir accompli et au service de la Patrie. Au final, si 24 City ne convainc pas complètement, il s’avère salutaire. Car il ne faut pas perdre de vue les dangers d’un système auquel, de près ou de loin, nous appartenons tous.
Lionel Vicari
How Can I Get Over My Ex Boyfriend After He Dumped Me