La musique, les mots… et le reste
Depuis quelques années, la maison d’édition marseillaise Le Mot et le Reste distille quelques petites perles de littérature musicale dont certaines sont devenues des incontournables du genre. Il y a longtemps que nous souhaitions mettre en avant leur travail : c’est aujourd’hui chose faite.
Il y a dans l’imaginaire collectif un peu de connaissances mais surtout beaucoup de croyances. Comme l’Histoire en général, celle des musiques populaires n’est pas une science, mais un art. On n’y réussit que par l’imagination. Bercés comme tous ceux de notre génération et de la précédente par les écrits de magazines spécialisés, nous visitions l’histoire à reculons, cherchant à démêler le bon grain de l’ivraie, nous fiant aveuglément aux goûts de certains ou aux « discothèques idéales » d’autres. La littérature sur le sujet était alors bien maigre (surtout en français !) et les émissions radio plutôt éparses. Pour étancher sa soif de pop culture, il fallait avoir les oreilles un peu bouchées ou l’appétit bien mince. Ce constat, un brin nostalgique d’un temps où il fallait scruter les pochettes de disques vinyles pour puiser quelques trop rares informations, est bien révolu. Et tant mieux ! Si le réseau a joué un rôle non négligeable dans le partage des connaissances, c’est peut-être le milieu de l’édition qui a le plus contribué à satisfaire ceux qui écoutent tellement de musique qu’ils ont aussi envie d’en lire. Apprendre les anecdotes, connaître l’intimité d’un studio d’enregistrement ou suivre les frasques d’une tournée, « lire » la musique permet de la vivre de l’intérieur, de réaliser ce fantasme ultime d’être au cœur de l’œuvre et aux côtés de son auteur. Fondée en 1996, la maison d’édition Le Mot et le Reste ne s’est pas immédiatement orientée vers la musique. « Au départ, on avait quelques velléités, mais on éditait surtout des livres d’artistes, de la poésie. On s’est aperçu qu’on pouvait toucher un large public notamment grâce à Internet. Le déclic, c’était en 2006 avec Rock, Pop – un itinéraire bis de Philippe Robert, un beau succès… » Yves Jolivet, fondateur de la structure, a le flow posé et les mots justes de ceux qui ont pris le temps de faire les choses, et surtout de les faire bien. Avec une volonté de toucher le grand public mais aussi d’apporter quelque chose aux spécialistes, la collection musicale de l’éditeur marseillais s’étend aujourd’hui à une trentaine de titres qui se divise en trois collections : Formes, Attitudes et Solo. Si la première est plutôt classique et demeure au plus près de la matière musicale, la deuxième gravite au contraire autour, privilégiant l’analyse sociologique au décryptage sonore. Quant à la dernière, elle est certainement la plus originale car la plus personnelle : des auteurs, pas forcément issus du monde du journalisme ou de la musique, se mettent à nu, décrivant d’une manière intime la relation qu’ils ont avec un disque, et cela va de Spooky Tooth à Morton Feldman en passant par les Cowboys Junkies. On est ici bien plus proche du journal intime que de la chronique de disque, « une sorte de fiction autour de la musique » qui plait bien à Yves Jolivet. L’actualité de la maison d’édition est multiple : Hard’n’Heavy, de Jean-Sylvain Cabot et Philippe Robert, s’intéresse au rock lourd et métallique de 1966 à 1978 avec une discographie sélective qui risque d’animer les conversations des amateurs passionnés. Kind of Blue, making of du chef-d’œuvre de Miles Davis d’Ashley Kahn, très bien documenté, devrait ravir les archivistes jazz qui veulent remonter à la genèse d’un album culte. Dès l’année prochaine, entre L’histoire de la musique expérimentale au Japon et L’histoire des free parties, le calendrier semble déjà bien rempli pour Le Mot et le Reste, une activité débordante pour une équipe de passionnés, de trois personnes seulement. « Ce sont ceux qui aiment qui ont raison ! » : Philippe Paringaux, ancien rédacteur en chef de Rock & Folk, aujourd’hui auteur/traducteur de la maison, a trouvé la formule. Pour le reste, l’éditeur marseillais a trouvé les mots pour le dire.
nas/im
Editions Le Mot et le Reste, BP 34, 13244 Marseille cedex 1
Rens : 04 91 73 41 88 / http://atheles.org/lemotetlereste
10 incontournables
Philippe Robert
Rock, Pop – Un itinéraire bis en 140 albums essentiels
Great Black Music – Un parcours en 110 albums essentiels
Musiques expérimentales – Une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques
Journaliste et critique de renom pour diverses revues spécialisées, Philippe Robert est, pour l’heure, le seul à avoir sorti trois ouvrages dans la collection Formes. Son approche de la musique s’y révèle transversale, érigeant des passerelles inédites entre des œuvres méconnues mais essentielles, qu’elles soient « blanches » ou « noires », « populaires » ou « savantes ». Cet homme a du goût et les idées larges, il sait les partager, bref, il a tout compris.
Eric Deshayes
Au-delà du Rock – La vague planante, électronique et expérimentale allemande des années 70
Eric Deshayes – Dominique Grimaud
L’Underground musical en France
L’homme que l’on retrouve derrière le site Néosphères est un fan de rock expérimental. Pas étonnant, dès lors, qu’on le retrouve ici à dresser une passionnante anthologie du krautrock (le pendant allemand du rock psychédélique) ou à s’intéresser avec qui de droit (le musicien Dominique Grimaud) à tout ce que Mai 68 a pu engendrer musicalement dans l’hexagone.
Guillaume Belhomme
Giant Steps – Jazz en 100 figures
Il y a eu le rock en 140 albums, la « black music » en 110 albums… Guillaume Belhomme a réussi à s’en tenir à cent figures du jazz, pour une somme nécessaire qui s’adresse aussi bien au mélomane qu’au novice. Après un bouquin sur Eric Dolphy, une suite est en préparation.
Robert Greenfield
STP – A travers l’Amérique avec les Rolling Stones
Exile on Main Street – Une saison en enfer avec les Rolling Stones
A l’époque journaliste pour le magazine… Rolling Stone, l’Américain Robert Greenfield a infiltré le cirque des Stones au tout début des années 70, quand ceux-ci étaient à leur apogée, tant au niveau de la création que de la défonce. Réédité, le culte STP relate l’épique tournée de 1972, consécutive à l’enregistrement d’Exile. Philippe Paringaux, rédac’chef historique de Rock’n’Folk, assure la traduction.
Guillaume Ruffat
Révolution musicale – Les années 67, 68,69 de Penny Lane à Altamont
Au moment où l’on fêtait les quarante ans de Mai 68, Guillaume Ruffat publiait cet ouvrage où l’on parle de musique mais pas seulement : les disques séminaux dont il est ici question traduisirent toutes les mutations de leur époque. La bande-son d’une génération en marche.
Guillaume Kosmicki
Musiques électroniques – Des avants-gardes aux dance floors
Musicologue et théoricien du phénomène techno à travers les raves et les free-parties, Guillaume Kosmicki s’est tout récemment attaqué à l’histoire des musiques électroniques. Un pavé qui remonte à la source (l’électronique pionnière) pour mieux appréhender le futur.
PLX