Victoria à la Cartonnerie
La célébration du désastre
Avec Victoria, troisième et dernier volet du cycle Les Suppliantes, la compagnie Du Zieu dans les Bleus livre un spectacle total et inventif, entre tragique et féérie.
Dernière figure tragique des Suppliantes, Victoria toise du regard ses deux aînées : Ismène et Ursule. Désormais, le mythe se décline sur le mode du nucléaire à travers tout un arsenal convoqué sur une scène envahie par un bric-à-brac d’objets et de discours bien huilés. A l’heure de la realpolitik, tout est affaire de responsabilité. Le pouvoir se défausse, cherchant une échappatoire dans le déferlement de désirs aspergés de phéromones. Dressing et tuyauterie à vue, la mise en scène, orchestrée avec maestria par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, nous convie à une formidable danse macabre scandée par une écriture ramassée, semée d’impacts. Portée avec énergie par des comédiens visiblement séduits et convaincants, la tragédie jaillit. Au centre, Little Boy (Conchita Paz), présidente indécise, contrainte de vendre ses têtes nucléaires pour éviter la rébellion ; à ses côtés, l’éminence grise Victoria (trois comédiennes au tailleur sexy et à la voix suave berçant les consciences). Puis viennent les « commensaux » : Mike le généralissime, Gadget la science, Ivan le marchand, des chœurs implosés… On sort désorientés, fascinés par cette polyphonie visuelle épurée d’une grande exigence esthétique. Trouvailles et contrepoints abondent et il faut alors laisser le tout décanter pour savourer le cynisme de ce théâtre « politico-féerique », mêlant chamallows et talons aiguilles, faisant se côtoyer Alice et Chaplin en dictateur sur grand écran. Voilà de quoi réaffirmer la permanence du tragique.
Texte : Anne Faurie-Herbert
Photo : du zieu dans les bleus
Victoria : jusqu’au 30/01 à la Cartonnerie (Friche la Belle de Mai). Programmation : Théâtre Massalia. Rens. 04 95 04 95 70 / www.theatremassalia.com