Derrière la forme / douces combinaison à la Galerie Bonneau-Samames
Cachez ce dessin que je ne saurais voir…
En questionnant les notions d’espaces public et privé, l’exposition présentée actuellement à la galerie Bonneau-Samames colle à la peau de cet espace d’exposition, qui se confond en effet avec le lieu de vie du galeriste…
Si, comme l’a écrit Joseph Kosuth, « tout art (après Duchamp) est (par nature) conceptuel car l’art n’existe que conceptuellement », il n’en demeure pas moins qu’il ne s’affranchit que rarement de la réalisation formelle. Difficile d’admettre par exemple que les pièces de Colin Champsaur se résument à une idée tant les préoccupations formelles de l’artiste sont palpables. Le sculpteur est aussi un esprit curieux. Pour cette exposition, il devient un œil sachant repérer dans d’autres productions que la sienne des œuvres dont le propos colle à la thématique de son commissariat. Des œuvres que l’on aborde donc avec différentes lorgnettes — soit par la forme et son potentiel esthétique, soit par l’histoire qu’elles racontent ou l’idée qu’elles véhiculent —, sans perdre de vue que les choses ne sont évidemment jamais l’une ou l’autre.
Dans la première salle, on assiste ainsi à une mise en jeu des apparences et des représentations bien ancrées… La pièce de Charlie Jeffery, A false dawn, est un jeu tautologique entre la sémantique de la phrase et l’image de cette phrase néon. La photo des mains de Colin Champsaur, C’est pas des mains de sculpteur, vaut quant à elle la peine pour ce que son histoire révèle des paradigmes admis. Dérobant un regard sur un chantier, Colin Champsaur essaie de justifier son larcin en affirmant aux policiers qu’il est sculpteur, ce à quoi l’un d’eux réplique en regardant ses mains : « C’est pas des mains de sculpteur, ça ! »
Méfions-nous des apparences, donc. L’adage se vérifie dans la suite de l’exposition avec les ambivalences optiques de Guillaume Constantin (Illusion de Jastrow) ou la sculpture en carton de Charlie Jeffery, qui évoque une évolution possible de la matière (pauvre, de préférence) jusqu’à son anoblissement par le geste artistique.
En empruntant l’escalier, espace d’exposition optimisé lui aussi, on arrive dans l’espace privé — intime — où des œuvres plus confidentielles sont au vu et au su de quelques-uns seulement. Ici, le film porno réalisé par Lauwence Weiner a remplacé les dessins érotiques des grands maîtres d’antan, mais il est bien question de coït ou d’emboîtement en tant qu’allégorie des systèmes dans lesquels nous évoluons.
La question artistique pour Colin Champsaur serait presque une tentative pour pallier la tendance générale qui voudrait que l’on fasse d’une généralité un tout, pour aborder le champ d’un autre possible…
« Exposer des manières. Manière : l’être dans son pur jaillissement. Manière d’être, manière de faire, manière d’exposer. Ces questions me servent à amorcer les possibilités d’une seconde nature qui se situerait dans le générique et le particulier, indifféremment. Ces manières tentent d’aborder des questions esthétiques aussi bien que politiques et sociales. » (Colin Champsaur)
Texte : Céline Ghisleri
Photo : A false dawn de Charlie Jeffery
Derrière la forme / douces combinaison : jusqu’au 12 juin à la Galerie Bonneau-Samames (43 rue Dragon, 6e). Rens. 06 71 15 76 97 / www.bonneau-samames.com