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[34 écoles marseillaises offertes aux géants du BTP] C’est quoi ce plan ?

Un chiffre choc : plus d’1 milliard d’euros. Une procédure déjà polémique avec le stade Vélodrome : le partenariat public-privé (PPP). Et surtout un projet sensible : la démolition-reconstruction d’une soixantaine d’écoles vétustes. Lancé depuis avril 2016 mais réellement détaillé en fin d’année dernière, le Plan Écoles de la Ville de Marseille réunit tous les ingrédients pour susciter le débat pendant plusieurs années. Alors que la riposte s’organise déjà, Marsactu passe les enjeux à la moulinette.

 

1. Une école sur dix à reconstruire
Les 77 000 enfants marseillais sont scolarisés dans quelques 440 écoles. Parmi elles, 53 datent des années 1960 et sont ce qu’on appelle des « écoles GEEP », du nom du constructeur des bâtiments. Selon cette méthode, à l’époque en vogue par mesure d’économie, elles sont toutes basées sur une structure métallique préfabriquée. « Le vieillissement de cet imposant parc immobilier, qui représente environ 10 % du parc scolaire, engendre des surcoûts et des difficultés en termes de maintenance et d’entretien, explique la Ville dans une délibération. Il présente une réelle difficulté d’adaptation dans le temps aux nouveaux usages et aux contraintes réglementaires et normatives qui s’imposent à ces équipements, et ne répond pas aux objectifs environnementaux fixés par la Ville. »

Posés ici cliniquement, ces problèmes ne sont pas nouveaux. Mais, lorsqu’à l’hiver 2015-2016, la polémique sur l’état des écoles marseillaises fait la une de la presse nationale, les GEEP ne sont jamais loin. Charlotte Magri, dont la tribune parue dans Marsactu a allumé la mèche, enseignait dans une école GEEP, et bon nombre de témoignages sur la mauvaise isolation et la vétusté des locaux venaient de ce type d’établissements.

En avril 2016, soit deux mois plus tard, en parallèle du vote d’une enveloppe de travaux d’urgence, la Ville a décidé de s’attaquer globalement à cette situation avec un chantier à l’envergure rare : la démolition des 31 groupes scolaires « GEEP », la reconstruction de 28 d’entre eux et la réalisation de 6 nouveaux établissements est planifiée dans le cadre d’un seul et même plan, simplement baptisé « Plan Écoles ».

 

2. Les PPP, une formule tout compris
À chantier global, marché global. Pour mener à bien ce plan, la Ville a choisi de faire appel à une procédure de type partenariat public-privé. Cela signifie que le « partenaire privé » (qui prend souvent la forme de géants du BTP tels que Vinci, Bouygues ou Eiffage) sera chargé de réaliser ces établissements, mais aussi de prendre en charge une partie du financement de l’investissement et surtout de les entretenir et gérer durant 25 ans. De la charpente aux sanitaires en passant par le nettoyage des vitres et l’entretien des pelouses, c’est le privé qui sera à la manœuvre. Dans cette répartition des missions reste principalement l’entretien des cantines. Et bien sûr l’enseignement, assuré par l’Éducation nationale…

En contrepartie de ces services, la Ville verse à l’entreprise une redevance, une sorte de loyer servant à rembourser le coût des travaux, des crédits que l’entreprise a souscrits, ainsi que les frais d’entretien. S’il s’agissait d’un marché public classique, connu sous le nom de « maîtrise d’ouvrage publique » (MOP), le titulaire se bornerait à construire, pour s’effacer sitôt le projet réalisé et la facture réglée par la Ville.
Concrètement, seul le principe a pour l’heure été acté, par un vote du conseil municipal en octobre 2017. L’appel d’offres n’a pas encore été lancé, mais le nom des heureux élus est annoncé pour la fin de l’année. Plusieurs lauréats peuvent en effet être retenus pour signer un accord-cadre. Ils seront ensuite mis en concurrence pour chacune des trois vagues prévues. Dans le cadre de la première, 14 groupes scolaires doivent être livrés à l’été 2021 (ils sont en vert sur la carte ci-dessous). Une deuxième vague suivrait avec une livraison à l’été 2024 et une dernière pour l’été 2025. Chaque vague comprendra deux contrats (donc deux appels d’offre), ce qui fait six contrats au total (et six appels d’offre).

3. Une « évaluation préalable » à l’appui
Si le département de Seine-Saint-Denis a déjà passé un contrat de ce type pour des collèges, l’idée pouvait toujours sembler politiquement sensible s’agissant d’élèves de la maternelle et du primaire. « Un jour, vous irez jusqu’à faire des écoles en partenariat public-privé », avait lancé le conseiller municipal PS Benoît Payan, il y a quelques années. C’était alors un autre PPP — celui de la rénovation du stade Vélodrome — qui faisait débat, et le propos se voulait plus ironique que prophétique. « Les écoles maternelles et élémentaires méritent une attention particulière car c’est la formation des nouvelles générations qui se trouve en jeu », justifie d’ailleurs le recours déposé au tribunal administratif par plusieurs contribuables.

Dans le débat global, ils trouvent à leurs côtés la Cour des comptes, qui préconise dans un rapport de décembre 2017 que ce type de financement soit abandonné. S’y est ajoutée, il y a quelques jours, la Cour des comptes européenne pour qui « les partenariats public-privé (PPP) ne peuvent être considérés comme une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques. »

Face aux interrogations, la Ville réserve pour l’instant ses réponses, dans l’attente d’une note détaillée promise pour avril. On dispose toutefois d’un épais document, réalisé avec l’aide d’une équipe formée par le cabinet d’avocat Taj et les cabinets d’audit Finances consult et Artelia bâtiment et industrie. Cette « évaluation préalable », obligatoire pour pouvoir recourir à un PPP, liste un certain nombre de « complexités » du Plan Écoles, là encore un passage obligé par la réglementation : « Multiplicité des sites », « fortes contraintes de calendrier », « réalisation de chantiers sur des sites en fonctionnement », présence d’amiante…

4. Le coût du risque
Mais le plus gros du document est occupé par un duel à distance entre MOP et PPP, avec comme principal arbitre le coût. En première analyse, l’avantage va à la maîtrise d’ouvrage publique : 620 millions d’euros contre 675 millions d’euros en PPP. Ce surcoût vient notamment du fait que les groupes du BTP empruntent à des taux plus élevés que les collectivités locales. Si le remboursement par la collectivité est décalé dans le temps puisqu’elle ne commence à payer qu’à la mise à disposition des bâtiments, le financement par les partenaires privés (210 millions d’euros intérêts compris) coûte en définitive plus cher.
C’est lorsque l’on intègre au calcul la variable risques et aléas que le rapport de force s’inverse : 734 millions d’euros en MOP contre 671 millions d’euros en PPP. Basée sur des simulations complexes, cette étape vise à prendre en compte la spécificité de chaque formule (PPP ou MOP) par rapport à de nombreuses menaces qui pèsent fréquemment sur ce type de chantier : délais non respectés, surcoût de construction, évolution des besoins etc. Pour la Ville, l’interlocuteur unique que constitue son « partenaire privé » — à qui le contrat transfère une bonne part de ces risques en fixant à l’avance le prix de la redevance, quoi qu’il arrive — serait alors préférable à une multitude de prestataires. C’est sur cette analyse que le recours déposé contre le choix du PPP concentre ses critiques.

5. Des engagements sur le (très) long terme
Au-delà de la technique, la durée pour laquelle la Ville s’engage et l’ampleur du contrat (plus d’1 milliard d’euros tout compris) suscitent des inquiétudes. La durée d’exploitation par les partenaires privés sera de 25 ans à compter de la mise à disposition des bâtiments. Cela amène Pierre-Marie Ganozzi, secrétaire départemental de la FSU, à s’inquiéter du « manque d’adaptabilité d’une gestion privée sur 25 ans alors que les réformes dans le secteur de l’éducation s’empilent et continueront à s’empiler. »

Sur le plan financier, les questions font écho à un rapport de la commission des Lois du Sénat, publié en 2014, pour qui les PPP constitueraient « une bombe à retardement budgétaire souvent ignorée par des arbitrages de court terme. » Ils risqueraient par exemple de « rigidifier la dépense publique » avec des dépenses gravées dans le marbre pendant des décennies et « un effet d’éviction sur les autres dépenses de fonctionnement ».
Si l’on exclut la partie financière, le contrat garantit grosso modo pour chaque année entre 2025 et 2049 que la Ville dépensera 5,2 millions d’euros (valeur 2017) pour entretenir et rénover ces 34 écoles. Avec derrière une question clé : quel budget restera-t-il pour les 90 % d’écoles hors PPP ? D’autant plus que l’évaluation de la Ville admet comme faiblesse de la maîtrise d’ouvrage publique l’« absence de “sanctuarisation” des dépenses d’entretien, la maintenance pouvant alors constituer une variable d’ajustement. » Au grand dam des opposants à ce projet. « Il est consternant de constater que l’on puisse invoquer ce type d’argument permettant à la Ville de se défausser de ses responsabilités en s’appuyant sur ce que seraient ses faiblesses futures », écrivent-ils dans leur recours.

Un coup d’œil dans le rétro donne une coloration particulière à cette inquiétude. En se basant sur les budgets 2014 à 2016, l’évaluation préalable estime que « les charges d’exploitation des 455 classes concernées par le projet Plan Écoles correspondent à un montant de 1,6 millions d’euros. » Loin, très loin, des budgets promis dans le cadre du PPP.

 

Boris Barraud et Julien Vinzent