Vol de nuits, association créée à Marseille en 1998 centrée sur la photographie, est à l’origine d’une série d’expositions autour de la rumeur, « La ville dans les plis, le bruit qui court ». Le projet réunit six photographes, six démarches différentes à la fois dans la façon de traiter ce thème et dans leur rapport à la photographie. Le dernier et quatrième volet réunit Stanislas Amand et Stéphanie Tétu…
Vol de nuits, association créée à Marseille en 1998 centrée sur la photographie, est à l’origine d’une série d’expositions autour de la rumeur, « La ville dans les plis, le bruit qui court ». Le projet réunit six photographes, six démarches différentes à la fois dans la façon de traiter ce thème et dans leur rapport à la photographie. Le dernier et quatrième volet réunit Stanislas Amand et Stéphanie Tétu.
Ce projet de création a été formulé dans le but d’interroger dans le même mouvement la ville — notamment le quartier du Camas à Marseille et la rue Sainte Marie, lieu des expositions, en particulier —, ce qui s’y passe, ce qui s’y dit et les rapports de la (des) photographie(s) au réel.
Les différences entre les œuvres présentées ici ne peuvent manquer d’interpeller. Grandes affiches en noir et blanc pour Stanislas Amand, petits clichés photographiques en couleur pour Stéphanie Tétu.
Celle-ci nous confronte à la présence d’un monde silencieux et immobile, épuré et tout en surface, la photographie effleurant avec douceur des corps et des lieux. La pénétration de l’un dans l’autre, l’empiètement du corps et du lieu qu’il habite, autant qu’il est habité, hanté par lui, est rendue visible par un jeu de transparence. Présence fantomatique d’une personne non reconnaissable sauf pour les intimes (très intimes même puisque seul est visible un corps nu sans la tête), bien qu’elle soit effectivement passée sous l’objectif. Comme l’atteste l’utilisation de la photographie argentique sans « trucage ». Un autre cliché manifeste également cette pénétration de l’intérieur et de l’extérieur — de l’extérieur (la ville, la rue) dans l’intérieur (un appartement) par la présence d’une plante rampante. Evocation métaphorique d’un bruit qui court, qui pénètre les esprits et les lieux sans que la source ou l’origine de ce bruit soit visible et palpable.
Tout autre est le travail de Stanislas Amand. La dimension esthétique des images passe au second plan (les photographies sont photocopiées) et la dimension poétique est présente à un autre niveau, en s’associant à une dimension analytique, critique et humoristique à la fois. Les Lettres à une galeriste présentées ici s’inscrivent dans un travail amorcé en 2004 et se construisent peu à peu autour du projet de Maquette de livre en construction. L’artiste a créé pour l’occasion des œuvres spécifiques liées au lieu d’exposition, évoqué à plusieurs reprises dans différentes lettres. Celles-ci sont présentées sous forme de mails mêlant textes et images, agrandies et présentées au mur. Le choix de présenter les écrits sous forme d’une correspondance — fictive, autobiographique ? — et non de journal intime ou de notes personnelles les inscrivent d’emblée dans un réseau de relations, d’échanges humains, de pensées et de regards. Dans un espace visuel et réflexif commun.
Le texte ne redouble pas les images, ni les images ne redoublent le texte : ils ouvrent ensemble un espace de relations et de significations, où notre monde est interrogé et le regard sur celui-ci, à construire. Il semble difficile d’affirmer qu’un thème à proprement parler réunisse les lettres présentées : la ville, les médias, la politique, l’art, etc. sont évoqués, critiqués, détournés ou interrogés et laissent entrevoir un rapport au monde qui s’élabore au contact des choses, au fil des rencontres et des déambulations urbaines le plus souvent. Ce qui pourrait donner lieu à de grands récits abstraits s’actualise dans le quotidien, la prise sur le réel se fait sur les détails, en contexte. Pensée toujours située, inscription temporelle et spatiale, comme (avec) la photographie.
A l’opposé du trop plein d’images médiatiques, les images ici se font désirer. Peu nombreuses, précieuses et « banales » à la fois. Il ne s’agit pas de produire des images de plus, qui se surajouteraient simplement aux autres déjà existantes, mais de construire les images autrement, en interrogeant leurs conditions de fonctionnement. Transparait en effet en filigrane la volonté non pas de réaliser sans cesse de nouvelles images (certaines photographies présentées dans les lettres datent de la fin des années quatre-vingt), mais de nouveaux usages et de nouvelles articulations entre elles. La dimension critique, présente notamment envers les images médiatiques, sollicite une réflexion sur la politique du regard : jusqu’à quel point les images peuvent être liées à une logique politique, idéologique, économique ? Selon le philosophe Marie-José Mondzain, ce qui participe à la violence des images liées aux industries audiovisuelles est le fait qu’elles ne s’adressent plus à des sujets parlants…
Ces œuvres témoignent du désir de faire image, mais pas n’importe quelle image, du désir d’apprendre à voir, mais pas seulement avec les images. Les mots aussi font voir, participent d’une dynamique visuelle. Les Lettres à une galeriste aménagent une rencontre avec soi-même, les autres et le monde. La raconte. Et de ce récit, on peut tout à la fois dire qu’il est fictif et qu’il est vrai.
Elodie Guida
Jusqu’au 15/06 à Vol de Nuits (6 rue Sainte Marie, 5e). Rens. http://www.voldenuits.com