L'interview : Albert Dupontel
Très (trop) émoustillés à l’idée de rencontrer Albert Dupontel venu présenter son dernier film, Enfermés dehors, deux de nos rédacteurs se sont précipité au Capitole sans même avoir préparé leurs questions. Résultat : une interview à l’arrache. La volubilité du singulier créateur de Bernie leur aura-t-elle sauvé la mise?… (lire la suite)
Très (trop) émoustillés à l’idée de rencontrer Albert Dupontel venu présenter son dernier film, Enfermés dehors, deux de nos rédacteurs se sont précipité au Capitole sans même avoir préparé leurs questions. Résultat : une interview à l’arrache. La volubilité du singulier créateur de Bernie leur aura-t-elle sauvé la mise?
Ça fait un bail qu’on ne t’a pas vu derrière la caméra. Qu’est-ce qui explique cette absence ?
L’écriture du film m’a pris dix-huit mois et la fabrication pure, deux ans : trois ans et demi, ça me paraît un délai normal. Mais il m’a fallu deux ans de plus pour trouver de l’argent : les investisseurs ne voulaient pas le produire. Je suis allé aux Etats-Unis chercher un salut assez improbable. Edouard Norton était intéressé et puis il y a eu les attentats et c’est parti à la flotte. Mais ce n’est pas plus mal : là-bas je n’aurais pas eu la garantie de faire ce que je veux. Si c’est pour faire Gothika, je préfère rester en France !
Et tu es satisfait du résultat ?
Oui, sinon je ne l’aurais pas sorti ! Comme je suis coproducteur du film, j’ai une liberté entière, sauf celle d’avoir de l’argent… Bien sûr, il y a des tonnes d’erreurs, des faux raccords par exemple, mais globalement, c’est le film que je voulais faire : un cartoon social. A un moment donné, il faut arrêter de se regarder et agir, tout en sachant que ce ne sera pas parfait. En plus, je mise surtout sur le mouvement, l’émotion, l’énergie…
Tes films ont justement cette folie du cartoon. Tu n’as jamais été tenté de faire quelque chose qui garderait cette description sociale et le côté « personnage limite », mais avec plus de sobriété ?
Non, l’austérité, c’est pas mon truc. Même si les films de Ken Loach ou Depardon, notamment Délits flagrants et 10e chambre, m’inspirent beaucoup. Le terreau social m’inspire, j’aime les gens décalés, j’ai beaucoup d’empathie naturelle pour eux. Mais j’ai un tempérament frénétique. Et autant, en tant qu’acteur, c’est plus facile pour moi d’aborder des personnages plus softs parce qu’ils sont intégrés à une saga qui ne me concerne pas, autant, quand je suis aux manettes, je veux un répertoire précis, une orgie d’images et de sons… D’où cet aspect BD filmée, sur lequel je m’investis beaucoup.
Et en tant qu’acteur, qu’est-ce qui motive tes choix ?
L’originalité du sujet avant tout : je ne cours pas après le pognon. Là, je viens de tourner un film pour trois francs six sous : Le Président de Lionel Delplanque, qui va sortir à l’automne, l’histoire d’un jeune politicien un peu véreux qui devient Président… On se demande bien qui ça peut être ! Le film est plutôt insidieux. Bon, il est produit par des potes de Villepin, alors ça n’est pas innocent à six mois des élections, mais bon, je m’en fous, je ne fais que l’acteur là-dedans, je m’amuse.
Pour Enfermés dehors, tu as fait appel aux mêmes acteurs que dans Bernie et Le créateur. Idem pour la musique avec Les Hyènes (ndlr : une émanation de Noir Désir). Tu voulais inscrire une certaine continuité dans ton travail ?
Oui, tout à fait. Je connais bien ces acteurs et je tiens profondément à eux, en tant qu’artistes, au-delà de l’amitié qui peut nous lier. Pareil pour Noir Désir : le groupe m’a apporté beaucoup de choses, notamment sur ce film : leur musique, qui peut être très énergique puis soudain très douce, lui correspond parfaitement. Ce sont des belles histoires : ils ont tous participé au sens premier du terme, sans être payés, pour le plaisir… Au-delà de ça, il y a une filiation directe entre mes films : dans tous les cas, il s’agit de moi. C’est toujours le même film dans le fond : on réinvente à chaque fois les préoccupations qui sont les nôtres. Le créateur, qui est un conte introspectif et névrotique sur cette impuissance d’écrire, est le plus proche de moi. Enfermés dehors renoue avec le regard de Bernie sur ce qui se passe autour de moi avec un nez rouge sur la tête, même s’il est moins sanglant, plus tendre que Bernie.
Ce nouveau cru est même joyeux, presque rassurant : un reflet de ton état d’esprit du moment ?
J’ai eu un petit garçon entre-temps, donc l’envie que ce soit plus positif s’est imposée naturellement, probablement de manière inconsciente. On ne se dit pas : « Tiens, je vais écrire une fin positive ». Et puis ç’aurait été malhonnête de lui donner une fin malheureuse, comme de faire une fin heureuse à Bernie. Ce n’est pas un procédé, c’est une logique qui se crée : dès les premières images, on sent une envie de vivre chez le personnage… Ce film est plus tendre, même mes parents ont aimé !
Propos recueillis par Emmanuel Germond & CC
Photo : Jean-Jacques Ader
Enfermés dehors, sortie le 4/04