Edito n° 197

Edito n° 197

« C’est pas parce que je suis pas parano qu’ils ne sont pas tous contre moi » (Pierre Desproges)…

« C’est pas parce que je suis pas parano qu’ils ne sont pas tous contre moi » (Pierre Desproges)

Dimanche 17 juin 2006, 19h : les animateurs des soirées électorales télévisées, petit sourire en coin, annoncent une surprise… La dernière en date, au soir du 21 avril 2002, avait sonné le glas de la gauche française. Sans réfléchir, l’on se surprend à rêver d’un retournement de situation, d’un certain « sursaut » citoyen. Et à en croire ces mêmes animateurs une heure plus tard, ravis qu’il se passe enfin quelque chose à Sarkoland, c’est un peu le cas. Le tsunami bleu tant attendu n’aura donc pas lieu. Certains s’aventurent même à parler de vaguelette rose. Il n’empêche, l’UMP se retrouve avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ce qui s’est rarement produit jusqu’à présent dans la Ve République.
Une majorité absolue, mais pas écrasante, donc, que l’on imputera bien évidemment à la fameuse « TVA sociale »[1]. Mais avoir évoqué la future mise en place de cette loi est-il le fruit d’une grande maladresse — avec Borloo en bouc émissaire rêvé — ou plutôt celle d’un plan machiavélique mené par le gouvernement pendant l’entre deux tours ? Comment, une fois le soulagement passé (ouf, les Français commencent enfin à comprendre ce qui leur pend au nez), ne pas laisser s’installer un sourd sentiment de paranoïa ? Car enfin, cette mesure — profondément injuste — allait inévitablement provoquer une chute de popularité du gouvernement : quand il s’agit de leur portefeuille, les Français sont aux abois. Comment ne pas imaginer tous les bénéfices que la droite auraient à retirer d’une Assemblée nationale tout acquise à sa cause, mais sans les effets néfastes d’une majorité trop écrasante ? On se souvient de la petite phrase de Mitterrand en 1981 : « Il n’est pas sain qu’il y ait une majorité trop forte. » En effet, contrairement aux apparences, la soi-disant surprise du second tour semble surtout profiter à la droite, qui se retrouve avec les pleins pouvoirs sans passer pour le gouvernement d’un Etat bananier, peut laisser tranquillement la gauche socialiste se rendormir sur ses semblants de lauriers et se débarrasser au passage d’Alain Juppé, victime parfaite de la fausse débâcle. Paranoïa ou lucidité ?
Et s’il y en a un qui doit être parano, c’est bien Alain. Le lendemain de sa définitive défaite, il lance aux journalistes qui le pressent : « Si je pouvais crever, vous seriez contents ! ». Car enfin, le retour de cet héritier naturel de la Chiraquie paraissait improbable sous l’ère Sarkozy. Un danger potentiel pour la droite succession de 2012 ! Alors depuis, il doit y penser tout le temps. Sarko m’a tuer… Quelle plus belle occase pour l’éliminer pour toujours que cette démission annoncée en cas de défaite… Si nous ne regretterons pas ses bottes, lui nourrira jusqu’à la fin de ses jours d’amers regrets en pensant à ces milliers de Bordelais qui l’ont envoyé joyeusement en retraite anticipée. Et continuent d’alimenter nos symptômes de persécution. Au jeu des chaises musicales que Juppé a intitié, Borloo se retrouve à l’Environnement. Et qui pour le remplacer au ministère de l’Economie ? Pas le très Ushuaia Nicolas Hulot, mais la très USA Christine Lagarde. Cette femme d’affaires multinationale était à la tête d’un des plus grands cabinets d’avocats américains avant d’entrer au gouvernement Villepin au poste de ministre déléguée au commerce extérieur[2]. Elle conseillait les plus grandes firmes yankees, des vendeurs d’avions aux maisons de crédit, et voilà qu’elle s’occupe du commerce français ! Pas étonnant qu’en 2006 elle fut nommée trentième femme la plus puissante du monde par le magazine Forbes ! Gageons qu’elle devrait gagner quelques places au classement de l’an prochain…

CC/PL

Notes

[1] Un oxymore plutôt audacieux, à ranger aux côtés de l’expression « plan social » régulièrement employée pour éviter de parler de licenciements en masse…

[2] Où elle déclara, le 4 juin 2005 : « La lutte contre le chômage passe par la réforme du droit du travail (qui) constitue souvent un frein à l’embauche et à un certain nombre de décisions d’entreprendre. »