Syndromes and a century - (Thaïlande – 1h45) de Apichatpong Weerasethakul avec Arkanae Cherkam...

Syndromes and a century – (Thaïlande – 1h45) de Apichatpong Weerasethakul avec Arkanae Cherkam…

Lorsque nous avons découvert Apichatpong Weerasethakul pour la première fois en 2002 avec Blissfully Yours, nous savions dès les premières images que nous tenions là un auteur majeur…

Le plein des sens

Lorsque nous avons découvert Apichatpong Weerasethakul pour la première fois en 2002 avec Blissfully Yours, nous savions dès les premières images que nous tenions là un auteur majeur. Le sens du cadre, la longueur des plans, cette lumière crue et naturelle… le réalisateur thaïlandais faisait preuve d’une liberté formelle rare, mêlant temps-réel et temps-cinéma en une seule et même unité cinématographique où s’exprimaient ses visions hallucinées. Comme dans Tropical malady — son précédent film — Weerasethakul partage ici son récit en deux partie : les mêmes acteurs campent les mêmes personnages dans deux situations distinctes. Le début du film se déroule dans la campagne thaïlandaise où Toey, une jeune femme médecin, exerce dans un dispensaire rural, et on retrouve par la suite ce même personnage dans un hôpital moderne de Bangkok. On pourrait supposer qu’un tel dispositif ne serve qu’à mettre en lumière les contradictions d’une société thaïlandaise partagée entre tradition et modernité, mais la réussite du film tient justement au fait que les clivages entre les époques et les lieux sont ignorés par le réalisateur, ils n’ont pas de prise sur le réel. Si le passé et le présent se confrontent, c’est dans un même espace, un même plan. On peut ainsi apprécier cette suite de saynètes où défilent chez le médecin ou le dentiste des moines bouddhistes qui confient là autant leur souffrance physique que leur mal-être : un vieux moine ne dort plus, il fait des cauchemars où il est attaqué par des poulets, un autre avoue qu’il aurait aimé être Dj plutôt que moine… Contrairement à notre représentation de cette culture et de cette religion, la méditation et le détachement ne sont plus les seuls remèdes, les moines se confient à leur médecin comme nous le faisons avec notre psychanalyste : ce n’est pas la pratique qui est moderne, c’est le regard que pose Weerasethakul sur elle. Syndromes and a century se termine sur un plan stupéfiant dans le sous-sol d’un hôpital. La fumée a envahi la pièce, les machines grondent et notre vue se trouble : la caméra fixe en gros plan un tuyau pareil à une trompe d’éléphant, qui aspire ou propulse la fumée. Nous percevons un mouvement, mais ne pouvons en indiquer le sens, on aimerait se rapprocher, toucher, sentir… Trop tard, le film se termine. Nous sortons de là étourdis, retrouvant lentement nos repères. Nous avons vécu une belle expérience de cinéma.

nas/im