Pour sa douzième édition, toujours aussi pluridisciplinaire, le Festival de Marseille, à la fois international et local, prestigieux et curieux, a trouvé sa vitesse de croisière… de luxe…
Pour sa douzième édition, toujours aussi pluridisciplinaire, le Festival de Marseille, à la fois international et local, prestigieux et curieux, a trouvé sa vitesse de croisière… de luxe.
Présents aux quatre coins de Marseille, vingt-cinq artistes proposent leurs créations dont le dénominateur commun pourrait être cette année le travail autour du « je ». Trois compagnies fêtent leur anniversaire et évoquent des souvenirs heureux ou traumatiques. Rage et fureur de vivre pour le Belge Wim Vandekeybus, égal à lui-même lorsqu’il regarde dans le rétroviseur de Spiegel les vingt ans d’existence de sa compagnie Ultima Vez (en espagnol : dernière fois). Le chorégraphe l’avait appelée ainsi, persuadé que l’existence de cette troupe serait éphémère. Elle a atteint ses 20 ans en 2006 ! Comme beaucoup d’artistes, le chorégraphe n’affectionne pas spécialement les anniversaires mais il voulait relever ce défi : « C’est un spectacle-miroir où je regarde en arrière : il y a des bouts d’anciennes créations comme des effractions dans mon parcours. » Condensé des scènes-clé de son œuvre— revisitées et interprétées par des danseurs de sa troupe comme de nouveaux venus —, Spiegel récapitule la force d’un artiste paroxystique, charnel, toujours à la limite de la rupture et de la beauté.
Autre habitué du festival, le Marseillais Michel Kelemenis fête aussi les vingt ans de sa compagnie avec Pasodoble. Associé au compositeur Philippe Fénelon, le chorégraphe a travaillé sur l’enjeu esthétique d’une corrida et son importance dramaturgique — le drame qui va se jouer dans l’arène. Fénelon donne le ton : « Dans le pasodoble, deux individus se retrouvent dans une danse symbolique pour s’effacer du monde réel et se trouver en relation avec l’ombre et la lumière : pour affronter la mort, il faut dire la vie. » Très attaché aux musiques ancrées dans la mémoire collective, Kelemenis montre une danse d’affrontements et d’enlacements, de duels et duos, toujours aussi technique, fluide, très claire et sensible.
L’ensemble Musicatreize fête aussi ses vingt ans avec Conte nomade composé par Lazslo Sary qui explore sacralité, mythe et magie venus de l’Oural. L’œuvre est un voyage dramatique et poétique dans un rite imaginaire figurant une cérémonie ancestrale, un acte magique entre l’homme et l’univers. Coup de chapeau à cet ensemble vocal ouvert à une proposition aux confins de son riche répertoire.
Dans Body Remix, la Montréalaise Marie Chouinard explore aussi son « Je » en réglant ses comptes avec la danse classique de son enfance. S’appuyant sur les Variations Goldberg de Bach, interprétées par Glenn Gould, elle remixe le corps et nous assène tout simplement une œuvre magistrale. Dans cette fascination/répulsion pour cette discipline pétrie de conventions, la Canadienne montre des danseurs appareillés et torturés par des prothèses, béquilles collées au front, au bas du dos, vissées au bras. Mais ces déambulateurs rendent d’autres mouvements possibles et le corps, garni de ces appendices qui poussent chair contre métal, devient comme intelligent et s’érotise dans une danse étrange et fascinante. Ou comment contourner ce qui est « beau » en restant dans le vivant et le désir, l’insolite et le fantasme.
Un festival qui n’en finit donc pas de se renouveler avec ses artistes habituels — mais sans mauvaises habitudes — ses films, ses expos et ses concerts à la portée de tous; et riches de toute la créativité contemporaine actuelle. Alors prenez votre temps de cerveau disponible et allez-y !
Eva D
Festival de Marseille, jusqu’au 13/07. Rens. 04 91 99 02 50 / www.festivaldemarseille.com