Le 10 octobre dernier, la terre a tremblé. Et la nouvelle ne vous aura certainement pas échappé : Radiohead a enfin livré son nouvel album après quatre ans d’absence. Mais au-delà de l’attrait d’une nouvelle livraison…
Le 10 octobre dernier, la terre a tremblé. Et la nouvelle ne vous aura certainement pas échappé : Radiohead a enfin livré son nouvel album après quatre ans d’absence. Mais au-delà de l’attrait d’une nouvelle livraison du quintet d’Oxford, In rainbows a surtout fait parler de lui en jetant un gros pavé dans la mare de l’industrie du disque. En effet, le nouvel album de la bande à Thom Yorke est disponible en téléchargement à prix libre — « It’s up to you », revendique le site. Autrement dit, après avoir refusé un pont d’or de son ancienne maison de disque, EMI, Radiohead édite lui-même l’album, laissant aux fans le soin d’en estimer le prix. Un pari audacieux — « un coup marketing », pérorent les mauvaises langues —, mais réussi si l’on en juge les fameuses statistiques dont se repaît tant l’industrie du disque quand ça l’arrange : deux tiers des internautes se seraient acquittés de cinq euros en moyenne pour télécharger l’opus numérique. Beaucoup plus que ce que touchent les artistes pour chaque album vendu en magasin — l’essentiel des bénéfices revenant d’ordinaire aux intermédiaires (labels, distributeurs, lieux de vente). Une opération « tout bénéf » pour le groupe, qui a déjà récolté 20 millions de dollars…
Mais si Radiohead l’a fait, c’est avant tout parce que Radiohead peut se le permettre. Car, à l’instar de Bjork, Madonna (ou Mylène Farmer, ben oui), le groupe mise fortement sur le fétichisme de son public, collectionneur et fidèle. En décembre, In Rainbows sortira ainsi sous la forme d’un coffret assez luxueux comprenant l’intégrale de ce qui était déjà proposé en téléchargement, mais aussi des morceaux supplémentaires inédits. Le coffret relié à la manière d’un livre comprendra deux CD et deux vinyles, ainsi que des photos (numériques), des paroles de chansons et divers autres goodies, pour l’équivalent de 60 euros (40 livres).
Attitude de « gosses de riches », comme le pensait Benjamin Biolay dans ces colonnes la semaine dernière, ou geste avant-gardiste esquissant l’avenir du « disque » en disant « Merde » à tout le cirque habituel des maisons de disques — qui privilégient la réaction à l’action et la répression à la concertation[1] ? Plutôt que de se perdre en conjectures stériles ou théories fumeuses, laissons à Colin Greenwood nous apporter quelques éléments de réponse : « On voulait retrouver l’urgence de nos débuts, ne plus être dépendants d’un label, d’un planning, d’une promo, offrir nos nouveaux morceaux à nos fans, voir comment ils allaient réagir… » Au-delà de la manne financière évidente (même si le groupe s’en défendra toujours, la probité chevillée à l’accord), le guitariste peut se féliciter : lesdits fans se sont littéralement appropriés l’album en créant leurs propres pochettes (florissant à tout va sur le Net), redevenant acteurs d’un système qu’ils ne faisaient que subir depuis des années via un téléchargement compulsif et bien souvent vain.
Le 10 octobre dernier, la terre a tremblé. In rainbows est une vraie merveille.
La rédaction
Notes
[1] Une police privée du Net est née ce 17 octobre. Pour protéger les revenus des majors du disque et du cinéma contre les infâmes pirates du cyberespace qui détroussent les riches pour partager entre pauvres, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) vient d’obtenir du législateur des pouvoirs très étendus. Ce groupement, qui dispose de subventions publiques, va pouvoir enquêter, amener des preuves à un juge qui il chargera d’obtenir une condamnation de l’internaute et des dommages et intérêts. La copie privée d’une œuvre sans autre but que d’enrichir sa culture personnelle ou celle de ses potes sera traquée par un service d’ordre outillé qui sera chargé de nous mettre à l’amende. Au moins, les radars automatiques sont visibles…