« Ne restez pas seul chez vous, sortez, développez vos activités. Les associations regorgent de personnes qui n’aspirent qu’à se rencontrer. Suivez quelques règles de communication de base, souvenez-vous du prénom des personnes que vous rencontrez, évitez de critiquer, complimentez et surtout écoutez l’autre vous parler de lui… L’important est d’être positif et souriant. Ayez confiance en vous. Si vous avez eu un bon contact au départ, la personne aura envie de vous revoir. N’hésitez pas à lancer des invitations. Offrir un apéritif chez vous avec vos nouvelles connaissances peut être un très bon point de départ. Faites leur plaisir, il n’y a rien de meilleur pour entretenir une relation, et donnez-vous aussi du temps car l’amitié, cela ne se commande pas ! Vous passerez progressivement du stade de copinage à celui de copains, puis d’amis. » (1)
Libre adaptation du livre éponyme écrit en 1936 par l’Américain Dale Carnegie (2), la pièce Comment se faire des amis ? est un condensé critique qui se place volontairement en face des apories grandissantes de l’humanité. D’un ton d’abord mielleux (imitation réprobatrice de ces gourous qui, en stage de reconnaissance de soi, se doivent de séduire leur clientèle par l’intermédiaire d’un verbe qui caresse dans le sens du poil), puis plus flou et au final carrément « pornonucléaire », Rudy Dunoyer va nous raconter comment, dans l’absurde, il est possible (sans bien sûr jamais y parvenir) de penser et de pouvoir se faire des amis. Seul au milieu du désert, tel un Christ tenté, Rudy (on l’appelle tous Rudy, car c’est notre ami) balade dans son passé, un passé qui vient contredire la méthode qu’il met en exergue auprès de son auditoire. Et plus il se penche vers ce qu’il a été au profit de ce qu’il est, plus sa conversation se délite et se transforme en délire inconséquent. Triste sort de celui qui donne l’exemple et qui se coupe de son animalité. A noter également, la perversion affichée du texte scandé : des extraits de discours politiques actuels (notamment ceux de Sarkozy, qui est aussi notre ami) et quelques intrusions tirées d’autres auteurs subversifs ponctuent l’affaissement des idéaux de l’amitié (amitié à but libéral). La solution sera donc de retourner vers les origines et le pardon, vers un delirium tremens. Dunoyer se noie dès lors dans un logos cacophonique et frénétique jusqu’à la disparition… Même si Comment se faire… ? n’est pas parfait, même s’il souffre de temps en temps de longueurs, il est tout à l’honneur de ce lieu (déjà ô combien mythique des aficionados) suprême, vertigineux, sans étiquette qu’est L’Embobineuse de programmer une fois encore un spectacle sans limite. Un spectacle où, à l’inverse de si nombreuses créations tranquillement assises le cul au chaud, ceux qui l’ont mis en œuvre se mettent à nu (ce qui est souvent le cas à L’Embobineuse, pas par hasard…) et défendent avec détermination un projet épris d’indépendance. Et ça, ça n’a pas de prix…
Lionel Vicari
Comment se faire des amis ? Les 7 et 8 à l’Embobineuse, suivi d’un concert « d’electro-kilt à rouflaquettes ». Rens. www.lembobineuse.biz
(1) Cette introduction n’est pas une invention, simplement un léger condensé de ce que l’on peut trouver sur certains sites. Voir par exemple : www.doctissimo.fr/html/psychologie/mag_2001/mag0126/ps_3315_se_faire_amis.htm (2) Livre vendu à plusieurs millions d’exemplaires dès les années quarante.