L’œil dans la rétro
A l’occasion des vingt ans du [mac], Thierry Ollat revisite la collection avec une exposition rétrospective à la hauteur de l’événement : historique, et pour cause…
La fête eut été parfaite si, non sans une certaine ironie du sort, l’événement n’avait coïncidé avec l’annonce que le [mac] fermera bientôt ses portes pour s’installer sous les voûtes de la Vieille Charité. Certains regardaient plus les verrières et les sols de marbre du bâtiment que les œuvres le soir de l’inauguration, vingt ans jour pour jour après que ces derniers ont été foulés par les premiers visiteurs du musée. Plusieurs points de vue s’exprimaient dans la cour… Ceux qui considèrent le [mac] trop éloigné du centre-ville, distance qui découragerait les plus férus d’art contemporain, ou ceux qui raffolent du mélange entre œuvres actuelles et vieilles pierres. Ceux qui aiment avant tout cet espace dévoué aux œuvres, véritable écrin pour les Tinguely, les Orozco et les Jean-Luc Parant, baignés par la lumière semi naturelle. Ceux encore pour qui Bonneveine n’est pas le bout du monde, et qui déplorent que les quartiers Sud soient dépouillés d’un de ses rares équipements culturels, affirmant que du temps des grandes expositions du [mac], on s’y pressait sans considérations kilométriques ! Le Musée d’Art Contemporain marseillais souffre, on le sait depuis quelques années déjà, d’un manque de moyens financiers considérable et peine à rivaliser avec les expositions qui firent sa grande époque — à l’exception du Pont en 2013. Attendons donc de voir le projet définitif, en espérant qu’il ne s’agisse pas uniquement d’un trivial déménagement, mais d’une véritable politique culturelle de fonctionnement et d’un programme d’expositions bénéficiant de moyens dignes de la deuxième plus grande ville de France.
Pour l’heure, le [mac] propose jusqu’en septembre une exposition « rétrospective » constituée de documents d’archives, mais surtout d’œuvres de sa collection (près de 700 œuvres) qui témoignent du lien entre la petite histoire du musée et la grande histoire de l’art. Dans la lignée des directions successives du musée, l’exposition réserve une belle place aux artistes marseillais : Richard Baquié, Saverio Lucariello, Michèle Sylvander, ou encore Hervé Paraponaris, dont l’exposition Tout ce que je vous ai volé a marqué l’histoire de l’établissement en conduisant le conservateur de l’époque, Philipe Vergne, directement au commissariat… de police.
Le cheminement du visiteur dans l’exposition commence dans les années 60 avec les voisins niçois du Nouveau Réalisme. Le groupe de Restany est représenté par César avec une compression Renault VL 06 de 1989, entre autres (la figure de l’artiste est omniprésente), mais aussi par Jean Tinguely, Arman, Niki de Saint Phalle, Yves Klein…
On passe de salle en salle et d’époque en époque tout au long de la visite. L’occasion de réviser, de s’initier ou d’approfondir certaines questions qui, en leur temps, ont fait chavirer les certitudes du monde de l’art. En France d’abord, avec la remise en question du système marchand et des galeries, de la dextérité du geste artistique et du refus d’innover par Toroni et Buren (membres du BMPT). Ou encore avec les recherches systématiques et abstraites de François Morellet et les tentatives de déconstruction du tableau de Dezeuze et de ses acolytes du groupe Support Surface (dont Toni Grand, présent dans l’exposition avec la sculpture Grande courbe fermée noire). Puis on voyage, en Italie avec les acteurs du mouvement de l’Arte Povera (Penone, Pistoletto et Parmiggiani), dans la nature avec la vidéo de Robert Smithson sur sa Spiral Getty (land art), et dans la nuit, avec les vidéos poignantes de Nan Goldin.
Après la période charnière des 60’s aux 90’s, place aux questionnements intellectuels et formels d’aujourd’hui. Si vous vous demandez à quoi sert le module d’habitation d’Absalon, si les peintures de Peter Halley vous semblent hermétiques, si vous souhaitez comprendre ce que les étranges sculptures de Jimmie Durham évoquent, les (excellents) médiateurs du [mac] vous guideront dans cette aventure de l’histoire de l’art contemporain.
Céline Ghisleri