Alexandra Pellissier, Julien Berthier, Cédric Ponti ; ou comment trois trajectoires artistiques se constituent comme des éléments perturbateurs capables de dévier le cours du temps, dont la force nous fait basculer, en pénétrant dans la galerie Bonneau-Samames, dans une faille spatio-temporelle.
Entrer dans une galerie n’a jamais été aussi déroutant. Habituellement considéré comme seul lieu d’exposition, l’espace de la galerie s’est ici véritablement imprégné des perturbations provoquées par les jeunes artistes. Les étagements et démultiplications d’espaces engagent le visiteur à faire l’expérience des œuvres plutôt qu’à simplement les regarder. Le parcours qui se construit propose d’expérimenter la perte de repères, à la fois spatiaux — au regard de l’œuvre de Julien Berthier, Etai de rangement, qui défie les lois de la gravité — et culturels. Le visiteur investit en quelque sorte une faille spatio-temporelle, où l’espace devient davantage fictionnel que réel et reste vierge de toute présence humaine. Les dessins d’Alexandra Pellissier s’appuient sur la dimension absurde du réel pour révéler des lieux factices, culturellement standardisés. Participant à la production, sur papier, de ce type d’environnement, l’artiste relève la dimension pathétique de ce que l’on peut à la fois imaginer comme vestiges ou formes futures d’une société. A travers ses sculptures, Cédric Ponti tente peu à peu de recoloniser cet espace dépeuplé et indéfinissable, en faisant émerger, directement de la matière, les visages d’une nouvelle société. Travaillant l’argile à l’explosif, l’artiste constitue une série de masques primitifs qui appartiennent à une civilisation encore inconnue. Enjeu majeur de la création contemporaine, la question de la relativité du temps — tour à tour suspendu, rendu absurde ou dynamité — expérimentée par le spectateur remet en cause l’utopie moderniste fondée sur l’idée du progrès, dans laquelle nous sommes toujours plus engagés. Les propositions artistiques présentées ici tentent ainsi de relever la vacuité du projet de globalisation et de nivellement appliqué par notre société, en proposant un éclatement des référents visuels et culturels, disséminés de manière aléatoire dans l’espace et le temps. Se profile alors une nouvelle cartographie du monde qui explose les trois monolithes continentaux du monde progressiste, et se fonde sur l’image d’îlots disséminés, à la fois solitaires et solidaires. Les parcours des trois artistes constituent ainsi une esthétique de la résistance à l’engrenage et la fuite en avant du temps, qui permet d’inventer de nouvelles possibilités d’existence.
Leslie Compan
Jusqu’au 15/12 à la Galerie Bonneau-Samames (44 rue Bernard, 3e). Rens. 06 71 15 76 97