La Nuit nous appartient – (USA – 1h54) de James Gray avec Joaquin Phoenix, Mark Wahlberg, Eva Mendes…
Bijou de famille
Dans l’écrin de notre panthéon cinéphile, les deux précédents films de James Gray (le minéral Little Odessa, l’impressionnant The Yards) brillaient du sombre éclat des grandes tragédies. La Nuit nous appartient, troisième opus d’une œuvre déjà remarquablement cohérente, nous arrive après sept ans d’une longue attente. Or, c’est peut-être dans cette difficulté à accoucher d’un film, dans le travail minutieux de l’orfèvre que réside la beauté sidérante du cinéma de James Gray. Au-delà des splendides climax visuels qui scandent la progression du récit — une rixe en boîte de nuit, la mort du père, une fusillade dans un champ de roseaux — la grandeur de La Nuit nous appartient tient à sa croyance dans la force des interstices, à sa volonté de construire plan après plan l’inéluctable désagrégation de son corps central, la famille. L’auteur de The Yards est en effet persuadé que le cinéma s’accomplit dans les plus infimes détails fictionnels, que chaque raccord est une pierre à l’édifice du film Cette démarche est une allégeance au classicisme autant que son dépassement. Car, en imprégnant de majesté la marche funèbre de ses héros et en filmant chaque geste comme la répétition d’un enterrement, Gray prolonge le sillon qu’ont creusé avant lui Coppola (Le Parrain) ou Ferrara (Nos Funérailles) : celui du film de gangsters comme chapelle, espace de recueillement, de sacrifice et de questionnement. De son érotique ouverture à l’« Amen » final, La Nuit nous appartient dessine donc les contours d’une famille détruite par l’ordre et la morale. Et si, au fond, James Gray nous parlait de l’Amérique ?
Romain Carlioz