A La Minoterie, le spectacle La lecture, ce vice impuni rompt la relative monotonie d’une représentation et le lien classique scène-salle en nous faisant faire un (dernier ?) tour du propriétaire.
Sans doute l’aurez-vous déjà remarqué, la chronique de théâtre s’intéresse peu au corps du spectateur. Et pourtant ! Ce corps, qu’on laisse parfois passer des plombes, immobile sur des sièges raides ou des strapontins grinçants, révèle que si l’ennui est le pire des maux, il n’en est pas le seul : mal au cul, fourmis dans les jambes, réveil de vieilles douleurs, etc. Alors, pour celui qui se lèverait volontiers d’un bond, bien avant une éventuelle « standing ovation », le spectacle déambulatoire constitue un salutaire remède et La lecture, ce vice impuni, un exemple du genre. Imaginez : dix scènes ou tableaux et presque autant de déplacements. Jamais plus de vingt-cinq minutes au même endroit ! Heureux celui qui aime à se dégourdir les jambes. Le théâtre s’ouvre entièrement au public qui n’est jamais où on l’attend, c’est-à-dire dans les fauteuils de la salle : il déambule, se promène, s’égare. Enfin, la chronique s’égare : le spectateur, quant à lui, découvre au (supposé) hasard de ses déambulations les tableaux écrits par Stéphane Olry et mis en scène par Xavier Marchand. Pratiquant le hold-up ou détournement d’enquête sociologique, ces deux-là ont dressé quelques portraits de lecteur à partir d’un questionnaire portant sur les pratiques de lecture. D’un portrait à l’autre, le travail de restitution n’est pas égal mais quelques perles se détachent, dont un Voleur qui dans l’intimité procurée par une obscurité totale vient comme nous murmurer son texte. Au gré des rencontres, chaque spectateur reconnaît sans doute, amusé, un bout de lui-même ; certains rient peut-être de ce lecteur qu’ils ne sont heureusement pas. Mais, de celui qui vole des phrases par-dessus les épaules ou des livres entiers chez les autres, à celles qui voient en France Loisirs le pourvoyeur d’une extraordinaire et indispensable came (Les dévoreuses), tous partagent une même (pré)occupation : lire. Dans un final quelque peu maladroit (simulacre d’arrestation renvoyant au titre…), Olry et Marchand en font même un acte politique et résistant qu’ils rapprochent de celui qui anime l’équipe de La Minoterie depuis quelques temps (cf Ventilo n° 199). Si le Théâtre de La Joliette finit par s’écrouler, on l’aura désormais entièrement visité…
Texte : Guillaume Jourdan
Photo : S. Olry
La lecture, ce vice impuni était représenté jusqu’au 2/12 à La Minoterie.