Cette semaine a vu l’apparition d’un nouveau journal en ligne créé par l’ancien directeur de la rédaction du Monde, Edwy Plenel, intitulé MediaPart. Rajoutez un .fr et neuf euros par mois et vous obtiendrez en janvier — de l’avis de ses journalistes expérimentés — un journal d’information confectionné par des professionnels soustraits à l’impitoyable censure qui mine la confiance des Français dans leurs sources d’information. Ils ne sont bien sûr pas les premiers. Cette entreprise fait suite à la création de rue89.com par des anciens de Libé qui a réussi à se faire une place dans le cercle très ouvert des journaux sur le web. Le site acrimed.org (pour action-critique-médias) n’a jamais pris de gants ces dernières années pour dénoncer le journalisme de connivence, cette complicité devenue systématique entre les mondes trop proches de la politique et des médias pourtant censés se contrarier. Pourtant, les citoyens sont conscients de la réalité et de l’intention de fabrication de l’opinion par des journalistes complaisants. A en croire un sondage commandé par le journal La Croix, 63 % des Français pensent ainsi que les journalistes ne sont pas indépendants face aux pressions des partis politiques et du pouvoir et 60 % qu’ils ne résistent pas aux pressions de l’argent. La multiplication de ces initiatives électroniques n’est pas seulement la conséquence de la généralisation d’Internet dans les habitudes quotidiennes des Français. Il traduit réellement un besoin pour les journalistes de s’affranchir des contraintes inhérentes aux journaux de presse, de radio et de télévision. Informer ou manger, il faut parfois choisir. L’ancien directeur de Paris-Match, Alain Genestar, pourra vous en dire quelque chose, viré par son patron Arnaud Lagardère pour avoir révélé la liaison extraconjugale de la désormais ex-femme du Président.
Mais pour pouvoir exercer le rôle de chien de garde de la démocratie et pas uniquement du pouvoir en place, les journalistes doivent pouvoir sereinement glaner les informations, les trier, les hiérarchiser et les retranscrire sans complexe ni tabou. Et dans cette recherche du temps gagné, les journaux ont notamment besoin d’argent. Le modèle économique d’une publication traditionnelle sur papier qui fait les mains sales ou sur écran qui fait mal aux yeux repose sur la publicité. Sans son support, l’exercice de son métier devient délicat. Vivre dans la précarité n’aide pas l’enquêteur à conduire les meilleures investigations qui nécessitent de la réflexion et du temps pour elle. Si Le canard enchaîné ou UFC-Que choisir font figure d’exceptions en se passant de pub pour fonctionner, c’est grâce au soutien ancien et durable de leurs lecteurs et de leurs propriétaires. Mais doit-on croire pour autant que des journaux comme Marianne ou Ventilo sont vendus au grand capital ? Non, pas plus que Rue89, dont les lecteurs s’accommodent très bien des publicités, parce que c’est le prix à payer pour avoir une information de qualité dans un monde où tout est gratuit (« Je préfère un média ouvertement financé par la pub qu’un organe de presse déficitaire mais financé par l’activité de marchand de canons ou de roi du béton de son propriétaire »). D’autant que s’il est un endroit où les gens ont plus de pouvoir que nulle part ailleurs pour bloquer les publicités gênantes, c’est sur Internet. En téléchargeant Adblock Plus sur http://adblockplus.org/fr par exemple.
L’aventure de l’édition électronique d’un journal qui, par souci d’indépendance, ne compte que sur le préalable soutien financier de ses futurs lecteurs paraît ambitieuse. Contre la démocratie d’opinion et la propagande omniprésente, une telle prise de risque est de bon augure. Car le constat est là. L’intoxication a pris le pas sur l’information. Vouloir inverser la tendance, c’est savoir que l’on a les médias qu’on mérite.
Texte : PL (avec CC)
Photo : dB