Bilan : les 10 livres de l'année
ROMANS
Olivier Adam – A l’abri de rien (L’Olivier)
Ça se passe à Calais. Marie, mère de famille au chômage, a du mal à joindre les deux bouts et à entrer dans sa vie, se tenant au bord, spectatrice de sa propre inertie. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve, presque par hasard, à distribuer de la soupe et des couvertures à des réfugiés attendant de passer clandestinement en Angleterre. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sent vivre… Olivier Adam écrit la chute de cette femme en marge de sa propre vie avec une justesse et une douceur rares. Magnifique.
Horacio Castellanos Moya – Le Bal des vipères (Les Allusifs)
L’auteur du Dégoût et de La Mort d’Olga Maria nous entraîne ici dans un polar fantasque et halluciné. Quelque part dans une capitale sud-américaine, un SDF squatte en bas d’un immeuble dans une vieille Chevrolet jaune, au grand dam de ses voisins. L’un d’eux, jeune homme désœuvré, décide d’en savoir un peu plus. Il questionne le SDF, le suit, le tue, prend sa place… On dévore ce roman qui nous tient dans sa course effrénée pendant trois jours de délire intense. On en sort épuisé, mais repu.
Iain Levison – Tribulations d’un précaire (Liana Levi)
Devenu malgré lui travailleur itinérant, l’auteur raconte un parcours professionnel chaotique qui l’a mené à exercer quarante-deux jobs en dix ans dans six Etats différents. Sans langue de bois, mais sans jamais tirer à boulets rouges sur un système qui pourtant expose ses failles, Levison livre une chronique désabusée et drôle, d’une beauté désespérée, le conte d’une lutte des classes sans nom qui dévoile à chaque page un pan de l’histoire de l’Amérique, et du monde occidental, en train de se faire.
Milena Agus – Mal de Pierres (Liana Levi)
Dans une Sardaigne qui connaît les affres de la Seconde Guerre mondiale, la mystérieuse héroïne du livre, en quête d’idéal, tarde à trouver l’amour. Elle le rencontrera sur le Continent, lors d’une cure thermale destinée à guérir son « mal de pierres », des calculs rénaux, qui aura aussi raison de son mal d’amour. Quelques décennies plus tard, elle se confie à sa petite fille… Milena Agus livre un beau roman charnel, une fresque familiale dont on croit saisir l’ambiguïté, jusqu’à la dernière page…
David Mitchell – Cartographie des nuages (L’Olivier)
A l’instar de son précédent roman Ecrits fantômes, ce nouvel opus de David Mitchell conjugue virtuosités formelles et forces narratives. A travers six histoires se déroulant à des époques différentes et dans des registres littéraires variés, l’auteur tisse une trame narrative qui surpasse les effets de forme et de style. Chaque histoire se suffit à elle-même et s’ouvre à la fois sur quelque chose de bien plus grand, dépassant le cadre d’une vie et s’inscrivant dans une perspective historique.
BD
Nylso et Marie Saur – Jérôme et Sultana (Flblb)
Quand le patron de Jérôme lui propose de lui léguer sa librairie, le jeune homme s’interroge sur les choix à opérer… L’album nous transporte dans un ailleurs à la fois dépaysant et étrangement familier, où questionnement personnel et vision d’ensemble de la nature humaine et du monde s’entremêlent très finement. Jérôme et Sultana n’a de cesse de nous surprendre, tout en étant fréquemment en adéquation avec nos préoccupations les plus intimes, suscitant en nous de nombreuses réflexions et émotions.
Matthey – Pascal est enfoncé (L’employé du Moi)
Pascal Matthey revient sur son enfance et notamment sur ses angoisses quotidiennes liées à la mort. La prière du soir, le décès d’un copain… Autant d’éléments qui offrent au petit Pascal l’occasion de penser à la mort — à celle des membres de sa famille comme à la sienne — et d’être effrayé par ces pensées. Avec ses pages presque entièrement muettes, Pascal est enfoncé est une bande dessinée particulièrement fine et délicate qui ne cesse de nous toucher et de nous faire réfléchir. Bouleversant.
Janssens et Borrini – Les rivières du temps, Tome 2 : Karma (Dupuis)
Karma est un petit diablotin qui a fui les persécutions commises par les anges en terre d’Outrelieu. Réfugié dans le monde des humains au sein du cirque Zombini, il retourne fréquemment dans son ancien univers afin d’y aider les siens. Karma est à la BD ce que les films de Tim Burton sont au cinéma : une initiation au fantastique riche et dense, pleine de trouvailles et aux atmosphères brumeuses à souhait. Les amateurs d’univers gentiment macabres abordables dès l’enfance apprécieront particulièrement.
Kek – Virginie, une histoire qui sent la colle Cléopâtre (Delcourt)
En CM1, Kek était en classe avec une dénommée Virginie ; c’était son amoureuse, mais elle a déménagé en cours d’année. Devenu adulte, le jeune homme met tout en œuvre pour la retrouver. Mine de rien, sa démarche impressionne, d’autant plus qu’il conte cette aventure en alternant implication extrême et détachement. Nous tenant en haleine et nous plaçant sur un petit nuage durant ses quarante-huit pages, la BD rappellera également à plus d’un des souvenirs liés à la colle mentionnée dans le titre !
Gorce – Les Indégivrables, Tome 2 (Editions Inzemoon)
Revoici les manchots dont les préoccupations humaines reflètent particulièrement celles de la société française. Il est ainsi question du réchauffement climatique, de la société de consommation, des élections, de précarité, d’injustice… L’humour de Xavier Gorce, acéré ou tendre, volontiers décalé et philosophique, fait mouche. Collant souvent à l’actualité, ces pages la dépassent souvent en nous conduisant vers des préoccupations universelles. Le dessin, vif, minimaliste et expressif, leur donne une saveur particulière.