Extérieur Nuit s’installe au Polygone Etoilé pour un petit mois, afin d’y présenter « Berlin-Hollywood, Weimar en exil », une série de projections construite sur la fine observation des ponts (trop loin) créés entre les deux pays, via les allers (et parfois retours) des réalisateurs en exil. Et prenant pour parfait exemple les relations existant entre deux grands cinéastes trans-générationnels : Douglas Sirk et Rainer Werner Fassbinder… (lire la suite)
Extérieur Nuit s’installe au Polygone Etoilé pour un petit mois, afin d’y présenter « Berlin-Hollywood, Weimar en exil », une série de projections construite sur la fine observation des ponts (trop loin) créés entre les deux pays, via les allers (et parfois retours) des réalisateurs en exil. Et prenant pour parfait exemple les relations existant entre deux grands cinéastes trans-générationnels : Douglas Sirk et Rainer Werner Fassbinder
Lorsque l’aficionado des salles obscures jette un œil attentif aux programmations d’Extérieur Nuit depuis 1988, il peut mieux saisir cette pensée chère à Serge Daney, autre cinéphile de haut vol : « Le cinéma, ce n’est pas l’art des images, c’est l’acte de montrer ». Adage qui s’applique autant aux artistes qu’aux diffuseurs de tout poil. Les projections organisées par cette structure ont toutes en commun cette exigence de donner corps et raison d’être aux ramifications et autres interactions que la diffusion d’un film sous-entend. Non pas une logique, donc (« le refuge des hommes sans imagination », selon Oscar Wilde), mais bien du sens, de l’âme, de l’intelligence. Le spectateur est invité, outre le plaisir inhérent à sa fonction, à saisir une Histoire, une époque, un engagement artistique, et considérer le rôle essentiel du « passeur » (autre terme cher au ciné-fils susmentionné) dans la dynamique cinématographique. Une démarche exigeante qui propose aujourd’hui de disséquer les nombreuses connexions synaptiques (nerveuses, vivantes) existant entre le cinéma allemand (anté- et post- Seconde Guerre) et la production hollywoodienne. Où il est question d’héritage et de filiation. On le sait, nombreux sont les artistes allemands, cinéastes et acteurs en tête, partis aux Etats-Unis non pas à la recherche d’un nouvel Eldorado, mais bien par une crainte que leur inspirait le nouveau régime populiste au pouvoir. Malgré une abondante activité cinématographique et théâtrale en son pays, Douglas Sirk, alias Hans Detlef Sierck, vint grossir les rangs des exilés, sans imaginer sans doute qu’il marquerait au fer rouge l’âge d’or du cinéma américain. Il faut revoir Mirage de la vie. Comprendre comment le mélodrame, dans sa traduction quasi-outrancière, s’attache parfaitement au quotidien pour transcender la vie par l’affect. Au final — et on le voit dans La ronde de l’aube, la destruction, fantasmée ou non, n’est jamais très éloignée des œuvres de Sirk/Sierck. L’œuvre du cinéaste allemand, empreinte d’un regard tourné au-delà de l’Atlantique, s’imbrique donc avec celle de l’icône hollywoodienne aux films fissurés. Bien plus tard, chez le plus grand — R.W. Fassbinder — des cinéastes de la génération suivante, toute préoccupée à reconstruire un souffle, une cinématographie pour l’Allemagne, le cas Douglas Sirk créera un écho qui aura force répercussion dans l’œuvre du créateur des Larmes amères de Petra Von Kant. La filiation est évidente et Fassbinder ne s’en cache pas. Cette influence intergénérationnelle, qui n’en est pas moins subtile, le conduit à déclarer : « Sirk est vraiment présent dans tout ce que j’ai fait. Non pas Sirk lui-même, mais ce que j’ai appris chez lui. » Il en est ainsi de(s) histoire(s) du cinéma : rien ne se crée, tout se répète, comme un long écho dont on ne sait déjà plus d’où il vient.
Sellan
Jusqu’au 3/04 au Polygone étoilé. Rens. 04 91 33 50 88