L’interview
Clément (La Nuit Magazine)
D’aucuns d’entre vous n’aura pu passer en ces pages outre le Tapage Nocturne, l’agenda de vos nuits… En plus d’un site complet en guise de point de chute des noctambules exigeants, La Nuit Magazine est en passe d’ouvrir son lieu, en plein centre-ville, à la Plaine, dans les anciens locaux de l’Ostau, et annonce d’ores et déjà une mue des plus prometteuses.
Pourquoi monter un lieu ? Pour avoir plus d’impact à l’échelle locale ?
Ce qui a motivé l’ouverture d’un lieu, c’est d’abord la nécessité de pouvoir réunir tout le monde au même endroit pour travailler mieux et plus vite. Depuis fin 2013, j’ai fédéré une équipe autour de La Nuit Magazine, nous sommes dorénavant cinq à travailler de près ou de loin autour du webzine. C’est avant tout un lieu de travail, mais nous souhaitions également pouvoir l’ouvrir au public, nous avons donc pensé ce lieu comme des bureaux fonctionnels qui peuvent laisser la place à des ateliers, des expos, et quelques soirées.
Notre volonté de créer une dimension sonore au webzine a également beaucoup pesé ; elle s’est traduite par la naissance de C.C.R (Cave Carli Radio), qui commencera à diffuser dans les jours à venir. Ce projet nécessitait un espace où installer un studio radio. Nous avons donc cherché tout l’été un lieu qui pouvait répondre à ces contraintes et avons réalisé les travaux nécessaires.
En ce qui concerne notre impact et notre implantation locale, ce n’est pas ce qui a motivé l’ouverture, même si c’est ce qui en découle, et nous misons d’ailleurs dessus. Un lieu permet de rassembler et fédérer, ça donne une autre dimension au projet tout en l’ancrant véritablement dans le réel et le territoire.
Pourquoi la Plaine ?
Nous avions le désir de faire vivre le lieu depuis le départ, notre recherche s’est donc concentrée sur des quartiers vivants. La Plaine n’était pas le seul point de chute possible et il s’avère que c’est là que nous avons trouvé le lieu qui correspondait le mieux à nos besoins. C’est d’ailleurs idéal puisque la Plaine fait partie des quartiers les plus créatifs et exubérants de Marseille : c’est un quartier de sorties tout à fait approprié à notre activité. Ce quartier a également un côté pratique beaucoup plus terre à terre, il est central et c’est un point que nous ne voulions pas négliger de façon à rendre l’accès au studio C.C.R facile pour nos intervenants et invités.
Quelles seront les vocations de ce lieu ?
Outre le développement du contenu de La Nuit Magazine et C.C.R, nous souhaitons développer de nouvelles activités pour fonder un modèle économique innovant qui nous permette de conserver notre indépendance. Je tiens d’ailleurs à souligner qu’à l’heure actuelle, toute l’équipe est bénévole, que nous ne bénéficions d’aucune subvention et que nous réalisons nos investissements sur nos fonds personnels.
Trouves-tu qu’il s’est passé quelque chose ces dernières années dans les milieux de la nuit à Marseille ?
Oui, la ville a évolué, elle n’a pas complètement stagné. Il y a le développement urbain qui a poussé les habitants à sortir : le tram, les métros ouverts jusqu’à minuit et demi, le réaménagement de la Canebière, du Vieux Port et de la Joliette. Un appel d’air a été créé par MP 2013 : même si le bilan de cette année culturelle est très contestable, elle a au moins eu le mérite de mettre la ville sous le feu des projecteurs, de modifier un peu son image, d’y attirer du monde, de faire venir des acteurs culturels mais surtout de mettre la culture sur le tapis et d’en faire une véritable problématique, ce qui contribue à éveiller une conscience culturelle chez ses habitants.
Je pense aussi modestement que La Nuit Magazine a apporté sa pierre à l’édifice, et du sens au niveau de la ville. Le webzine répond bien aux problèmes de communication de nombreux lieux associatifs et rassure quelque part les organisateurs qui sont un peu moins frileux vis-à-vis de la prise de risque, surtout ceux qui se lancent. Je pense que La Nuit Magazine incite à la création de nouveaux collectifs.
On peut aussi voir ces changements comme une simple relation de cause à effet : la ville se développe, ça pousse les gens à sortir, les organisateurs font donc plus d’efforts et proposent davantage de choses pour satisfaire la demande.
Pourrait-on dire qu’il y a plus de propositions ? De nouvelles têtes ? Les nouvelles générations parviennent-elles à faire leur place ?
Il y a plus de propositions et beaucoup de nouveaux collectifs se forment. De manière générale, on sent que la nouvelle génération tâtonne et se cherche. Il y en a beaucoup qui se lancent en « one shot » et arrêtent après un ou deux événements, notamment parce qu’ils ont du mal à se faire une place. C’est dommage parce qu’à force de batailler pour exister, ce qui se crée est parfois complètement extrémiste et je vois beaucoup de collectifs caricaturaux qui sont totalement hermétiques aux mélanges de genres, voire à l’échange avec des collectifs proches de ce qu’ils peuvent proposer.
La nuit à Marseille reste encore avant tout une affaire de réseaux, de connaissances, « d’amitiés ». La nouvelle génération pousse de plus en plus, mais parvient difficilement à se faire une vraie place ; elle reste pour l’instant dans l’ombre des acteurs établis. Ça donne parfois lieu à des situations comiques : quand je me rends à une soirée et que je vois que tous les dj et orga ont tous quarante ans passés, voire cinquante, et qu’ils font danser une salle dont l’écrasante majorité en a à peine vingt, je me dis qu’il est vraiment temps qu’ils passent la main ou, au moins, qu’ils travaillent main dans la main avec des jeunes qui en veulent et qui font les choses bien, parce qu’il commence à y en avoir un paquet.
Il y a tout de même de nouveaux collectifs qui parviennent à tirer leur épingle du jeu et proposer des événements ambitieux : on peut citer le Watsa, les collectifs des Jardins Suspendus et la Nouvelle Ecole, le collectif Modern Jam, Future Skankerz pour le pendant électronique. En matière de hip-hop : les Maîtres Sauciers, New Castle, Tchatcheur Prod et, même si elle reste très DIY, les Fat Kids pour la scène rock/garage. Il y a aussi l’Asso Backdoor qui est un collectif hybride très actif.
Y a-t-il plus de lieux en centre-ville qui accueillent des soirées ?
La quasi totalité des propositions reste centralisée entre le cours Ju / la Plaine, Noailles et le Vieux Port, qui s’étend depuis peu jusqu’à la Joliette. On constate avec beaucoup d’espoir que les sorties commencent à se décentraliser, surtout l’été grâce à 2013 et sans doute paradoxalement grâce à l’exhumation de l’arrêté sur les musiques amplifiées en extérieur de 2012, qui a fait déserter les plages pour explorer le centre-ville. On pense par exemple au toit-terrasse de la Friche, qui attire plusieurs centaines de personnes les vendredis et samedis estivaux, aux Jardins Suspendus des Terrasses du Port, aux Halles de la Major… Et en ville, on peur citer l’U.Percut, les Demoiselles du Cinq, des galeries comme Juxtapoz ou les Grands Bains Douches, voire des lieux hybrides comme l’Asile 404. Ça reste très underground, mais on peut également citer tous les squats qui ouvrent de plus en plus au public et proposent des soirées punk, expérimentales ou techno, où le public se compte parfois par centaines et où se déroulent de nombreuses rencontres artistiques, même si par définition, elles restent à la marge.
Peut-on dire que Marseille est une ville de la nuit ? Qu’ont de particulier les nuits marseillaises ?
On ne peut pas dire que Marseille soit une ville de la nuit, il faudrait pour ça — au moins — que la municipalité porte un intérêt à la vie nocturne. La nuit se développe depuis quelques années mais à partir de 2h, le choix reste très limité. Je dirais que la particularité des nuits marseillaises tient à deux choses. D’une part, elle souffre de la mauvaise image de Marseille, surtout chez la population étudiante fraîchement arrivée qui se retrouve en appartement et sort rarement, et seulement pour les plus gros événements ou ceux organisés par leurs associations étudiantes. D’autre part, la vie nocturne se joue dehors mais nulle part, sur le trottoir ou au bord de l’eau, en d’autres termes, à l’arrache. Il manque encore de propositions qui parviennent à satisfaire pleinement l’impressionnante foule qui sort et qui ne va nulle part.
Ensuite, il y a une dichotomie flagrante entre l’été et l’hiver. L’été, tout le monde est dehors, prend l’apéro, etc. L’hiver, la population qui sort est motivée par la fête.
On a l’impression que Marseille passe son temps à bader les grandes Mecque des musiques électroniques ou hip-hop par exemple. A force, ne passe-t-on pas à côté de l’essentiel, de quelque chose de précieux à la ville ?
C’est vrai, et c’est peut-être lié au fait que Marseille est une ville qui regorge d’atouts qui sont sous-exploités ou simplement inutilisés. Ça crée une frustration et je pense qu’on a du coup tendance à regarder ce qui se fait ailleurs, dans des villes du même gabarit en se disant que c’est mieux là-bas. Le public est peut-être en attente d’un festival gigantesque comme à Dour, ou d’une Concrète les dimanche… Il y a aussi les effets de mode, l’engouement pour les musiques électroniques ou le hip-hop qui fait qu’on a peut-être tendance à focaliser notre attention hors de Marseille, alors que la ville mériterait au contraire qu’on s’y concentre. Marseille dispose du climat idéal pour proposer des activités culturelles majeures : il y a la mer, des panoramas à couper le souffle, un melting pot culturel incroyablement riche. Il existe bien quelques raretés qui correspondent très bien à ce que la ville a de précieux, comme le Festival MIMI par exemple, mais ces propositions ne sont pas assez mises en avant. L’attention se focalisera très vite sur la ville si elle réussit à se développer dans le bon sens et si elle parvient à faire des choix intelligents.
Propos recueillis par Jordan Saïsset
Ouverture très prochainement du lieu au 5 rue des 3 Mages, 1er.
Rens. www.lanuitmagazine.com