Les Rencontres d’Averroès à Marseille et en PACA
L’Interview
Emmanuel Laurentin (France Culture)
Pour leur vingt-et-unième édition, les Rencontres Averroès élargissent leur réflexion et le débat à « d’autres Méditerranées » : la mer de Chine et les Caraïbes.
Depuis l’annonce du départ de Thierry Fabre (créateur des Rencontres en 1994), Emmanuel Laurentin, animateur de La Fabrique de l’Histoire sur France Culture (qui devient coproducteur de l’événement), reprend le flambeau. A quelques jours du « Temps Fort » au Parc Chanot, le journaliste nous en dit plus.
Commençons par le commencement : qui est Averroès ?
C’est un philosophe arabe qui a participé à la transmission des savoirs grecs à l’Europe chrétienne et favorisé la discussion avec des philosophes d’autres religions. Averroès illustre le passage, le pont, le dialogue et le débat : une figure parfaite pour une série de missions et de débats dans une ville comme Marseille. Il incarne la possibilité de débattre et de discuter même quand on a des visions du monde différentes.
Quelle est justement la philosophie des Rencontres ?
C’est de mettre autour d’une table des gens qui sont à la fois suffisamment éloignés pour avoir des visions différentes et suffisamment proches pour accepter la discussion et le débat. Pour la conception de cette édition, il nous a semblé que l’on ne pouvait pas être à la hauteur de ce qui avait été fait l’année dernière, il était donc nécessaire de changer légèrement la thématique sans bouleverser ce qui a été fait depuis vingt ans.
Bernard Jacquier, Président de l’Espaceculture, explique justement que c’est une édition de « transition », qui entame « un nouveau cycle » tout en s’appuyant sur les fondamentaux d’Averroès. Quels sont ces fondamentaux ?
Ce sont le débat public et l’éducation populaire qui sont fondamentaux, y compris sur des questions brûlantes et complexes. Nous privilégions une certaine exigence intellectuelle, même face à un public de plus de mille personnes. Il ne s’agit pas de faire du cirque ou du spectacle pour faire venir des personnes. On a un public exigeant et il faut être à la hauteur, ne pas lui proposer n’importe quoi.
En quoi les nouveaux territoires étudiés cette année, si éloignés géographiquement, sont-ils comparables avec la Méditerranée ?
L’espace méditerranéen est devenu un modèle, c’est un espace considéré comme un territoire pertinent par sa grandeur et les relations très anciennes entre tous ses bords, qu’elles soient commerciales, culturelles ou conflictuelles. Les géographes ont considéré qu’il était nécessaire de l’utiliser comme point de comparaison. Ce pas vers ailleurs va nous reposer la question de notre Mare Nostrum et de ce qui lui est si singulier et original.
Qu’avez-vous ressenti quand Thierry Fabre vous a invité à lui succéder ?
Je l’ai accueilli avec beaucoup d’humilité, j’ai été très touché. Cela fait plus de quinze ans que j’anime les Rencontres avec lui. J’ai été à la fois surpris et je n’irais pas jusqu’à dire angoissé, mais presque, en raison de l’ampleur de la tâche. Reprendre une manifestation aussi prestigieuse, qui draine autant de public, et prendre le risque de dire à ce public qu’on va parler de la Méditerranée de manière un peu différente, c’est un risque mais c’est très excitant. C’est un héritage important car c’est une manifestation qui a réuni en vingt ans les plus grands chercheurs ainsi qu’un public fervent et nombreux. On se pose forcément la question de savoir si on sera à la hauteur quand on succède.
Comment le public parvient-il à trouver sa place au sein des débats ?
Ce qui est essentiel, c’est la façon dont le public prend la parole, de façon ferme et respectueuse. Il a des questions fines et intéressantes qui font rebondir la réflexion et qui permettent aux participants comme aux intervenants de sentir qu’il y a eu un vrai dialogue. A Marseille, on ose poser des questions, il y a une culture de la parole, une prise de parole sensée, intelligente sans crainte du ridicule. C’est tout l’intérêt d’avoir créé ensemble les Rencontres et le public des Rencontres. Quand le directeur de France Culture de l’époque et Thierry ont proposé ce projet à Marseille dans les années 90, on leur avait dit que des rencontres intellectuelles n’intéresseraient personne et qu’il fallait plutôt aller à Aix-en-Provence. Ils ont tenu bon et ont eu raison : ça montre que quand on fait un travail exigeant avec des gens de qualité, le public vient et revient.
En quoi est-il important pour vous, à titre personnel et en tant qu’historien, d’évoquer la Méditerranée, ses richesses mais aussi ses problèmes ?
Le choc de ma vie a été mon voyage en Grèce à dix-huit ans, et ça fait trente-cinq ans que j’y retourne régulièrement. La découverte de la Méditerranée s’est faite à travers la lecture d’écrivains comme Fernandez quand j’étais étudiant en histoire médiévale. C’est un plaisir à chaque fois d’avoir mes repères et mes marques dans cet espace méditerranéen. L’objectif que j’aimerais atteindre, mais je ne sais pas si j’y arriverai, c’est d’être allé dans chacun des pays qui bordent cette mer avant la fin de ma vie. C’est un espace qui est assez grand et vaste pour la vie d’un homme et qui me parle depuis que j’ai commencé à apprendre. L’affiche des Rencontres de cette année, c’est le regard d’Ulysse porté sur l’au-delà des mers : pour moi, cette mer est centrale, même quand je vais visiter d’autres espaces. Ce n’est pas un hasard si je me retrouve là maintenant à animer ces débats, ce n’est pas l’aboutissement mais la suite d’une vieille passion pour la Méditerranée, pour les poètes et écrivains méditerranéens, pour tous ceux qui depuis Homère décrivent cette mer.
Propos recueillis par Aleksandra Lebrethon
Les Rencontres d’Averroès : jusqu’au 30/11 à Marseille et en PACA. Temps fort les 28 & 29/11 au Parc Chanot.
Rens : 04 96 11 04 61 / www.rencontresaverroes.net
Toute la programmation des Rencontres d’Averroès jour par jour ici
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