Portraits : Clara de Asis et Laura Vazquez
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On les voit partout ou presque, sans savoir vraiment qui elles sont. Coupe de cheveux à la True Blue, la brune, la blonde. En solo ou en duo, il y a toujours du son, il y a parfois des mots. Portraits croisés de deux activistes de l’art poétique et sonore : Clara de Asis et Laura Vazquez.
D’emblée, leurs deux noms les ancrent en Espagne, où elles se sont connues à la sortie de leurs études. Dans leurs voix aussi, on sent le Sud, mais pas exactement le même. L’une a l’accent chaleureux de la Catalogne et de nos Pyrénées, l’autre le souffle andalou. Quand elles se rencontrent à Barcelone, elles ont à peine plus de vingt ans. Elles partent à Séville, moins touristique et moins bourgeoise que la première. Là-bas, elles font des performances dans les lieux alternatifs et se produisent à toutes sortes d’occasions. Mais Laura, qui écrit en français, réalise que ses auditeurs ne comprennent pas bien ses mots, et donc le sens de sa poésie. Elles décident de partir : retour à l’Hexagone. Paris ne leur « convient pas ». Elles préfèrent Marseille, qu’elles imaginent hyperactive, et y posent leurs valises — « pour un bon moment encore », car ce qu’elles aiment ici, c’est tout ce qui est possible, les petites initiatives. Il se passe beaucoup de choses à Marseille en poésie, en performance, dans les bibliothèques. Elles trouvent des choses intéressantes à voir partout…
A Marseille, Clara commence à étudier l’acousmatique avec Lucie Prudhon. Jusqu’alors, elle était autodidacte en la matière, créant des musiques de façon intuitive à partir de sons qu’elle enregistrait elle-même et assemblant le tout sur des petits logiciels de montage. Puis elle découvre l’univers savant de la musique électroacoustique et ses compositeurs. Aujourd’hui, elle se dit consciente d’avoir toujours fait de la musique, mais que le fait de la penser la rend elle-même compositrice. La guitare préparée devient rapidement son médium privilégié.
Ici, c’est principalement avec Laura qu’elle travaille, mais aussi avec Christophe Modica, le label Daath et Lucien Gaudion. Elle suit les classes de Maxime Barthélemy et de Pascal Gobin au Conservatoire, tout en se méfiant de l’académisme, mais en y voyant l’occasion d’échanger avec d’autres musiciens — et donc d’apprendre. Apprendre, encore, sans cesse. Travailler. Mais en gardant une intuition aussi sincère que possible, tel est le credo de Clara.
Reprenons. Ce qu’elle aime avant tout, c’est collaborer avec Laura. Cette dernière, a pour sa part choisi l’art des mots, mais ne dissocie jamais le son et le rythme de son travail. Chaque son et chaque mot se soulignent l’un l’autre, et leur interaction est ce qui fonde l’intérêt de la performance. « La guitare préparée de Clara n’est pas un fond sonore », nous répète la jeune femme.
Dans leur processus créatif, Laura vient en amont avec son texte, Clara propose le son. Mais ce mouvement de création en commun ne saurait séparer strictement les champs d’action de l’une et de l’autre : « Il se peut que le texte en soit modifié par la suite, et nous veillons à conserver des espaces d’improvisation et d’incertitude à l’intérieur de l’écriture lors de la performance », précise Laura.
Ce qui les touche ? « Cette tension qui se passe quand on crée et cette chose très forte que l’on ressent aussi dans la performance. Plus que le fait de composer, de préparer quelque chose, c’est cette tension éprouvée face au public, imprévisible, que nous cherchons. » Laura marque une pause, elle poursuit : « Travailler le mot avec la musique, c’est magnifique, parce que c’est difficile à interpréter objectivement, c’est immédiat. »
Quand on leur fait remarquer que leurs travaux sonores sont pourtant tout à fait aux antipodes — Laura utilise souvent un rythme saccadé, des mots qui cognent, rocailleux, quand Clara joue des vibrations de sa guitare jusqu’à en faire un drone —, Clara nous dit visualiser les sons comme des petites formes visuelles, picturales, voire « pictoriques », et faire donc le parallèle avec les mots, ces petits pictogrammes. Mais au-delà, leur point de rencontre réside surtout dans le gain d’intensité, jusqu’à la violence de ce qui est dit, plus que dans la dramaturgie même de leur performance.
On les a vues à Manifesten, aux Bains Douches, au festival Reevox et au GRIM à Marseille, au jeune et pointu festival MAI à Nice, au festival Futura à Crest.
Dans la galaxie de Clara, il y a de la musique répétitive et minimaliste, comme Steve Reich, qui crée de la fascination, comme Moondog, mais elle aime aussi Pierre Henry, Luc Ferrari, ou encore la guitare de Jim O’Rourke.
Laura, qui a été lauréate du prix de la Vocation de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet en septembre dernier, veut continuer à écrire de la poésie, mais dans une écriture qui s’engage davantage et ne reste plus dans l’émerveillement de la nature et des formes. Elle aime les Cahiers de Nijinski, Thomas Bernhard, ou encore les livres de Jonathan Safran Foer sur la libération animale, la théorie du véganisme et l’antispécisme.
Elles ont vint-cinq et vingt-huit ans. Dans leur dernier fil d’actualité, la revue Muscle, qu’elles fabriquent elles-mêmes de A à Z avec Arno Calleja : du choix des textes à la mise en page et à la mise sous pli.
A même pas trente ans, on sait en tout cas déjà où se trouve leur muscle.
Joanna Selvidès
Rens. : http://claradeasis.com
www.lauralisavazquez.com
laura-lisa-vazquez.blogspot.com
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