Phantom of the Paradise
Entre la création d’une B.O. pour un long métrage et deux albums à venir, Phantom s’est invité dans la discographie et le planning déjà chargés de son auteur. Entre deux TGV, une télé et une radio, Dj Oil nous a ouvert ses portes pour un entretien à domicile, en toute décontraction.
Depuis la sortie de Phantom le 24 janvier dernier, l’agenda de Lionel Corsini, alias Dj Oil, ne compte plus le moindre espace à noircir. Contrairement à Black Notes, son premier album solo, ce second opus sorti de nulle part fait déjà des vagues outre-Manche. Depuis son toit-terrasse qui s’ouvre sur la Méditerranée, il s’en explique…
« Il y a quelques mois, en me replongeant dans mes archives, j’ai retrouvé des centaines d’enregistrements live que j’ai joués entre 2010 et 2014, qui erraient comme des âmes en peine sur mon disque dur. J’en ai extrait vingt-quatre qui me plaisaient vraiment, sans distinction de styles, et je les ai balancés sur Soundcloud histoire de leur donner une seconde vie. A ma grande surprise, le soir même, le label anglais BBE me contactait et me proposait d’en faire un disque… un mois après, j’étais à Londres !» A dire vrai, le refus d’une telle opportunité se serait apparenté à une forme grotesque de suffisance. Rappelons que BBE n’est autre qu’un label de classe internationale, qui abrite des noms tels que Theo Parrish, Laurent Garnier, ou encore DJ Vadim, pour ne citer que ceux-là.
BBE réunit à son tour douze de ces morceaux venus d’outre-tombe, d’où le titre de l’album qui sortira très rapidement dans la foulée. En effet, tous les morceaux ayant été enregistrés en « one shot », et Dj Oil n’ayant délibérément pas l’intention d’y toucher, aucun travail de mixage n’a été nécessaire. « La raison est purement esthétique, il s’agissait de conserver la spontanéité du mix et l’authenticité du son… hors de question de gommer le grain des vinyles. Contrairement à Black Notes, qui était un véritable album dans sa structure, je tenais ici à rester dans l’esprit de départ. La beauté de Phantom, ce sont justement ces petites imperfections. » Le résultat, une sélection éclectique et bien planante pour un album qui se veut le fruit « moche » à l’intérieur duquel se concentre toute la quintessence de plusieurs années d’écoute, d’archivage et de remixes. Lionel en est bien conscient, le fait de signer sur un label anglais va lui ouvrir bon nombre de portes à l’étranger : une reconnaissance bien méritée pour ce dj marseillais aux multiples facettes.
Dj au sens initial du terme, il commence en radio dès 1988 à faire découvrir des galettes au public sur Fréquence Sud puis sur Grenouille. Un an plus tard, on le retrouve en dj de club pour ce que l’on considère encore comme l’âge d’or du Trolleybus. Résident au Terminus, la salle du fond, il y passait sept heures de rang à mixer. Nos vieilles Doc Martens en tremblent encore. Et en 1995, il achète son premier sampler et commence à produire ses propres morceaux. Il raconte chacune de ces étapes dans Trajectoire, un petit film de huit minutes produit par une célèbre marque de sacs à dos. Très agréable à regarder malgré une narration parfois trop académique, il se souvient de son premier disque acheté à l’âge de six ans, de sa rencontre avec Fred Berthet et Arnaud Taillefer en 1998, avec qui il animait des ateliers de sampling à la Friche et qui formeront le trio des Troublemakers, de ces cinq années passées à sillonner le continent africain, ou encore de lorsqu’il avait des cheveux…
Alors si ce Phantom est un nouveau tournant dans sa carrière, ce n’est pas un miracle mais juste le fruit de sa passion, de son talent et de beaucoup de travail. Il ne marche pas sur l’eau et fait même désormais très attention où il met les pieds. Sauf peut-être lorsqu’il s’agit de dénoncer les dérives mafieuses de nos élus locaux. Lorsque la musique lui laisse un peu de temps, avec les Sentinelles, il n’hésite pas à interpeler les politiques sur des questions sensibles. Mais… qui sont les Sentinelles ? « C’est un groupe sur facebook destiné à fédérer des gens de la société civile autour de problématiques concrètes. Nous relayons des initiatives, poussons des coups de gueule, dénonçons les combines des politiciens corrompus à droite comme à gauche. Le groupe a pris de l’ampleur, même les partis politiques nous lisent et réagissent. » A trop marcher dans l’huile, attention quand même au dérapage… « Pas de risque, ces gens-là sont tellement intouchables qu’ils sont devenus totalement indifférents aux critiques. » Et la politique ? « Au moment des municipales j’ai été dragué par presque tous les partis, mais je suis un artiste, que chacun fasse ce qu’il a à faire. » Le lendemain de notre entretien, Dj Oil performait une pièce musicale aux Grandes Tables de la Friche, intitulée Guerre et Paix… un live de 2h30 composé de discours politiques et citoyens sur des thèmes musicaux des années 60, 70 et de musiques électroniques.
Laurent Jaïs
Dans les bacs : Phantom (BBE)
Rens. : soundcloud.com/dj-oil