Portrait : Corentin Houzé pour L’Art de jeter ses déchets à Marseille
Déchets et des lettres
Malgré son petit format, il trônait en bonne position sur les étals des marchés de Noël et dans les librairies marseillaises. Rencontre avec l’auteur de L’Art de jeter ses déchets à Marseille, artiste aussi insaisissable que saisissant.
L’Art de jeter ses déchets à Marseille s’est vendu à plus de trois cent cinquante exemplaires le premier mois. Inespéré pour un ouvrage autoédité ayant pour seule publicité un bon bouche à oreille.
L’ouvrage relate en quelques situations bien senties l’un des sports les plus populaires de la ville : le lancer anarchique d’ordures. Car question ordures en tout genre, Marseille est une référence. Détournant le pictogramme « Ne pas jeter sur la voie publique » à l’aide de tampons et collages, ce petit livre faussement naïf y apporte son joyeux tribut.
Son auteur, Corentin Houzé, trentenaire discret, s’avère aussi insaisissable que ses travaux sont plein d’à propos et de dérision.
Difficile d’imaginer que l’artiste a débuté par des études de droit et de commerce avant de travailler en tant que conseiller en création d’entreprises coopératives. « A cette époque-là, j’aimais faire ce que je n’aimais pas faire. » Très vite pourtant, il ressent de la frustration à guider des gens dans la réalisation de leurs projets alors qu’il a lui-même mille idées à concrétiser. Il plaque tout, achète un vieux van pour chevaux, qu’il restaure et transforme en lieu d’exposition ambulant. Parti de sa ville natale de Chollet, il réalise un tour d’Europe pendant près d’un an afin de promouvoir des amis artistes en les exposant, vivant de la vente de leurs travaux ou de leur reproduction en cartes postales.
« Pour ce projet, j’ai procédé en faisant exactement le contraire de ce que je conseillais dans mon premier boulot : ni étude de marché, ni budget prévisionnel. Juste le plaisir de faire ce qui me plaît… Je vivais dans mon camion. Mes revenus n’étaient pas très conséquents, ils ne le sont toujours pas, mais je préfère de loin mener cette vie que celle d’avant. Ne pas avoir grand-chose oblige à aller à l’essentiel, à imaginer. »
Son tour d’Europe l’amène début 2013 dans la Capitale européenne de la Culture. « Marseille m’a toujours attiré par l’esprit bordélique qu’elle dégage. Un peu le même bordel que j’ai dans ma tête. J’ai profité de l’occasion. J’y suis resté. »
Corentin se lance alors dans des créations personnelles. D’abord des cartes postales faites de bribes de conversation qu’il entend, puis avec ses propres textes. Il utilise toujours la même typographie qu’il a lui-même créée en tampons, facilement reconnaissable. On peut notamment la voir sur certains murs du Panier. Raymond Depardon mentionne même l’une de ses phrases — « Je suis comme le termite, j’habite chez l’habitant » — dans son dernier livre sur Marseille. « J’aime l’idée d’immortaliser sur les murs des bribes de conversation entendues dans la rue. Là, c’était un postier corrézien. »
Souvent inspirées par la cité phocéenne, ses cartes postales se trouvent dans certaines librairies de la ville. Le succès de celle annonçant « Vous voulez vous sentir marseillais ? Jetez-moi sur la voie publique !» incite le jeune homme à en faire un livre.
Totalement autodidacte, Corentin ne manque pourtant pas de diversifier son champ d’action, que ce soit dans l’art ou dans l’édition : organisation d’expositions, édition, diffusion, écriture, typographie, illustration… « Je suis assez désorganisé et je fais souvent les choses à l’envers. Mais cela produit une certaine naïveté qui me plaît, dans ma démarche et dans mes travaux. »
Les projets de Corentin Houzé semblent naître comme des défis. A la Fête du Livre de Forcalquier sur le thème de l’érotisme, il transforme ainsi son camion en « Musée du Q », avec des affiches du type « .G » ou « I’m so Sade »…
En mai prochain, il sera invité par Plonk et Replonk, célèbres « trafiqueurs » de cartes postales anciennes, pour leur venue à la Jetée. Faites passer le mot…
Maryline Laurin
L’Art de jeter ses déchets à Marseille de Corentin Houzé, dans la plupart des librairies marseillaises.
Rens. : www.bablart.com