John John – (Philippines – 1h38) de Brillante Mendoza avec Cherry Pie Picache, Eugene Domingo…
Kennedy et moi
Pour être critique, il faut parfois jouer avec son autre « soi-même » et flirter délicatement avec les limites de la schizophrénie, quitte à passer pour un con — après tout, ça arrive à des gens très bien. Exercice pratique avec cette affirmation péremptoire sans être dénuée de fondement : « Il n’est pas de bon film sans dispositif bien que les films à dispositif soient généralement mauvais. » Ça peut paraître idiot au début mais en creusant, on y arrive. John John, à son corps défendant, illustre assez bien cette subtile nuance. Le premier long-métrage de Brillante Mendoza affiche dès les premiers plans un dispositif formel proche de l’épure : unité de temps (une journée dans la vie d’un enfant en voie d’adoption et de sa nourrice, Thelma), plan-séquence et lumière naturelle. Ce petit bréviaire du cinéma vérité fonctionne un quart d’heure, le temps d’un plan et d’une traversée quasi-surréaliste des bidonvilles de Manille. Ensuite, il plombe une heure de récit, obstruant littéralement la vision du spectateur à force de s’afficher si ostensiblement. Ce n’est que dans la dernière bobine que le film se relève enfin. Sans doute car Mendoza semble avoir cerné son sujet : filmer un monde où les corps en transit s’échangent au même titre que des valeurs bancaires et où les révoltes, comme les pleurs de Thelma, n’ont d’existence qu’éphémère. Ce film-là, entrevu au détour d’un final sobre et émouvant, aurait été magnifique. Pour cela, il aurait fallu laisser s’évanouir la caméra derrière les corps, laisser exister un peu plus Thelma et John John afin de s’affranchir du dispositif sans jamais le perdre de vue. C’est compliqué, j’en conviens, mais c’est à ce prix que naissent les grands films.
Romain Carlioz