La femme-orchestre

Après avoir notamment traité de notre relation à l’objet et à la nourriture, Clara Le Picard tourne actuellement avec sa pièce All Bovarys, qui se penche sur les thématiques sociales développées dans le roman de Flaubert. Portrait d’un auteur qui pense, donc qui est.

Baby-sitter, vendeuse, correctrice, professeur de cours particuliers, scientifique autodidacte et surtout auteur, comédienne, chanteuse, metteur en scène ou scénographe, Clara Le Picard s’est forgé une expérience professionnelle à toute épreuve. Son insatiable soif la pousse à aborder les domaines les plus variés, qui l’ont conduite à signer par exemple une dizaine de livres pour enfants ou deux albums de musique pop (sous la bannière du groupe Jours, le duo qu’elle forme avec Frédéric Nevchehirlian) et, surtout, à se livrer à l’écriture et au théâtre contemporain, deux domaines pour lesquels elle a signé les plus belles lignes de son CV. La Marseillaise d’adoption s’intéresse à la création sous toutes ses formes, en atteste son retour récent à la peinture (elle signe d’ailleurs l’affiche de son dernier spectacle).
Cette touche-à-tout fonde la Compagnie A table au sortir de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs, il y a une quinzaine d’années. L’artiste aura auparavant bâti de solides fondations littéraires sur les bancs de la classe préparatoire du lycée Fénelon (Paris) et de la Sorbonne Nouvelle, avant de se spécialiser dans la scénographie. Un domaine dans lequel elle ne cessera de renforcer ses acquis, notamment au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique.
Enfant de la balle, elle est la fille de Françoise Lebrun, comédienne à la biographie longue comme le bras (une cinquantaine de films, des dizaines de pièces de théâtre et de créations pour la télévision en quarante ans), que l’on connaît pour son personnage de Veronika dans La Maman et la putain de Jean Eustache. L’œuvre culte de la Nouvelle Vague (également maudite, sa réédition n’en finissant plus de se faire attendre) aura contribué à faire bouger la place de la femme occidentale, et aura forcément influencé Clara dans sa prise de conscience sociale.
Intenable quadragénaire, elle tient toujours la fraîcheur de ses vingt ans et la vigueur de l’adolescence. Sa curiosité et son érudition l’entraînent vers des domaines sans cesse renouvelés, des spectacles et livres pour enfants aux pièces abordant la société et ses travers : la pédophilie, la place des femmes, le regard de l’acteur sur le monde — et du monde sur l’acteur —, l’industrie alimentaire, le consumérisme…
Tout cela en imposant sa patte, grâce à laquelle assister à ses créations est un plaisir : une plume libérée, une manière d’écrire et de jouer mêlant le ludique au dramatique, un décalage malicieux entre le fond et la forme, une facétie de tous les instants qui permet à son public de prendre conscience de thématiques fortes (par le choix des sujets abordés et les références scientifiques, culturelles et intellectuelles sur lesquelles elle s’appuie) avec le sourire. Que ce soit avec All Bovarys ou Martine Schmurpfs, sous les atours d’un spectacle pop — participation active de l’assistance, chorégraphies et chansons, installation de personnages décalés —, Clara Le Picard montre un réel amour du travail bien fait et du respect (de l’intelligence) du public, couplé à une vision acérée de la comédie sociale.

Sébastien Valencia

Rens. : www.compagnieatable.com

La galerie de Clara Le Picard sur Pinterest : fr.pinterest.com/claralepicard

All Bovarys sera joué les 7 et 8/04 à la Ménagerie de Verre à Paris, dans le cadre du Festival Etrange Cargo (rens. www.menagerie-de-verre.org) et du 9 au 12/07 au Théâtre de l’Entrepôt d’Avignon (rens. www.misesenscene.com)