L’Echange de Paul Claudel par la Cie l’Egrégore
Le jeu de la vérité
Côte Ouest des Etats-Unis. En scène, un quatuor nous conte les drames des désirs contradictoires. Compagnie résidente du Théâtre de Lenche, L’Egrégore présente L’Echange à la Friche du Panier. Une adaptation fidèle mais un peu trop sage de la pièce de Claudel, où règne pourtant plus que jamais la poésie de l’étrange.
La poésie de Claudel vise à déchiffrer le monde et à le réunifier par le verbe théâtral. C’est une dramaturgie fondée sur la célébration d’un ordre régissant toute chose ici bas, qui cherche à conquérir une vérité universelle sans forcément en passer par la croyance religieuse. Cette parole peut bien sûr paraître anachronique et dépassée aujourd’hui, mais il n’en demeure pas moins qu’au niveau du récit, elle se joue dans un présent poétique absolu et perpétuellement réactivé. « Claudel veut tout, la certitude du tout, non pas l’origine, non pas ce qui est sans être encore, mais l’univers présent, le monde dans ses limites, fermé et circonscrit, où rien ne se perd, qu’il pourra dénombrer, mesurer et confirmer par sa parole permanente. » (1)
Dans L’Echange, la situation provoque une tension permanente. Dans chaque personnage est inscrite la mécanique qui va le conduire à se heurter puis à acquiescer au désir de l’autre ou, au contraire, à céder avant de se rétracter, mais sans renier sa nature. L’important est de rester entier et de vivre au présent. Les partenaires s’échangent donc dans un élan désordonné pour les uns, réfléchi pour les autres. D’un côté la liberté, le dérèglement des sens, de l’autre l’autorité, le contrôle. La mise en scène de Romeuf suit pas à pas le vers claudélien, ne cherchant que le sens vrai des situations dramatiques, dans l’idée que le fond profond, l’âme des personnages est donné par la forme du langage poétique. C’est un travail honorable, estimable, mais le ton et le jeu montrent tout dans une esthétique naturaliste centrée sur le décor construit et le lien dynamique du jeu des acteurs avec ce décor. Ils vivent leur personnage sous nos yeux, nous en présentant docilement les aspects aussi bien matériels que moraux, mais deviennent de fait ce que Claudel fait dire à Lechy des spectateurs de théâtre : de la chair vivante et habillée. Il y manque un parti pris, de l’ambiguïté, une vision subjective qui ferait ressortir ce qu’il y a d’inquiétant dans cette conception du monde. On aurait aimé y percevoir un décalage amenant à une écoute critique, à des reptations pulsionnelles trouant le texte sous son ordonnancement (Claudel n’a que vingt-cinq ans quand il écrit cette version qu’il reprendra plus tard), qu’il y ait un cadavre dans cette eau noire au centre du plateau, et non sur la scène, peut-être celui de Rimbaud, double envisageable de Laine.
Olivier Puech
L’Echange de Paul Claudel par la Cie l’Egrégore : jusqu’au 11/04 à la Friche du Panier (96 H, rue de l’Evêché, 2e).
Rens. : 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info
Notes
- Robert Abirached, La Crise du personnage dans le théâtre moderne.[↩]