De l’électricité dans l’air
On dit que le deuxième album est un passage épineux, un cap à franchir. Un écueil qu’Aline évite à merveille avec La Vie électrique, un disque gonflé d’énergie qui marque une maturité textuelle et musicale sur laquelle nous avons pu revenir avec Romain Guerret (chant) et Arnaud Pilard (guitare).
Chargé comme une pile alcaline, Aline signera son retour dans les bacs fin août avec un album une fois encore à forte consonance anglo-saxonne, qui marque un début de coupure avec ses modèles et conduit le quintette marseillais sur de nouvelles voies royales. Le premier extrait de La Vie électrique, au titre éponyme, fait écho à leur succès Je bois et puis je danse via un savant dosage de riff funky et de basse rondouillarde, assorti d’un surprenant clavier aux accointances house. Si ce single dégage une sensualité contagieuse dans le chant et les paroles, tissant le lien avec le précédent LP, il est l’arbre qui cache la luxuriante forêt : les autres morceaux s’avèrent pour certains moins enjoués que par le passé, marquant une légère rupture de ton(alité) avec leurs prédécesseurs, pour un résultat parfois plus synthétique, en tout cas plus personnel. Si le style reste forcément marqué par leurs références, les musiciens ont presque tué le père et assurément progressé musicalement. Romain d’expliquer : « On joue ensemble depuis presque dix ans, on commence à se connaître, on joue mieux de nos instruments. On a voulu s’éloigner un peu de nos fondamentaux indie pop / new wave / garçons modernes, varier les plaisirs. C’est quelque chose qu’on aime chez Aline, être là où on ne nous attend pas vraiment. L’album s’est construit de manière très instinctive, on savait juste qu’on voulait mettre les guitares un peu en veilleuse, donner plus de place aux synthés, s’amuser avec les clichés de la pop. On a élargi la charte pour ne pas se répéter mais on veut que cela sonne quand même comme du Aline, c’est primordial. » Des propos confirmés par Arnaud : « Je crois qu’en général, on ne force jamais le trait, les choses se font assez naturellement, sans vraiment de calcul derrière… Le seul point vraiment prémédité était de faire un disque différent de Regarde le ciel, on ne voulait pas de redites tout en gardant notre patte sonore. On le voulait plus produit, plus gros en termes de son. On ne s’est rien interdit par rapport aux styles abordés et je pense que c’est la bonne méthode pour nous. Faire un album est à chaque fois une nouvelle expérience et j’aimerais que cela reste ainsi. »
Génération désenchantée
En résultent des morceaux ancrés dans leur époque, qui trahissent une certaine désillusion, un désenchantement, leurs instrumentaux à l’énergie plus catalysée soutenant des textes moins directs, plus imagés. Le spectre des sujets traités est plus large : la guerre dans Avenue des armées ; la solitude et la ville (Paris) dans Les angles morts ; la tristesse sous forme de haïku astrologique dans le justement nommé Tristesse de la balance, qui convoque The Field Mice (joyau des années 80). Musicalement plus aventureux, le groupe propose un Mon dieu, mes amis aérien, quand Plus noir encore est hanté par le spectre de Daniel Darc et porté par un dub digne de Guns of Brixton (The Clash). Selon Romain, « l’album est plus sombre, plus atmosphérique aussi, il joue plus sur les ambiances que le premier. Les thématiques sont plus variées. Le challenge était de trouver une couleur commune pour construire une unité à l’ensemble. La Vie électrique (tiré d’un ouvrage d’anticipation d’Albert Robida, 1890) est la façon dont je ressens le monde, la société dans laquelle on vit. Un monde vibrant à la manière d’un néon, entre tension et résignation, un monde proche du court-circuit où tout peut exploser d’un moment à l’autre. »
Mod à la française
Dans la gamme des sentiments évoqués, les doutes qui tiraillent le couple dans Résonances cachées, chanson teintée du misérabilisme qu’on se plaît à aimer chez Morrissey. Lequel a droit à son hymne, Une vie : pour rendre à César ce qui est à César ou pour solde de tout compte ? De comptes réglés, il en est effectivement question dans le brûlot power pop Promis, juré, craché, dans lequel Romain joue d’ironie en dézinguant le son des guitares, la distorsion, plus généralement cette musique basée sur trois accords qui est à la fois sa passion et sa malédiction. Questionné sur le sujet de la vie dans un groupe à succès à la quarantaine, le chanteur réplique : « On fait de la musique depuis très longtemps, on a eu plein de projets qui n’ont pas tous eu la réussite rencontrée par Aline. Evidemment, on est super heureux de vivre un peu sur le tard notre rêve de jeunesse. On a persévéré contre vents et marées au prix de certains sacrifices. Ce n’est pas tous les jours facile, c’est un succès relatif, on n’est pas des vendeurs de masse, Aline est un projet encore fragile, un peu à part dans le paysage musical français… Il est en effet un peu étrange de se retrouver à faire cette musique à cet âge-là, d’où une chanson comme Promis, juré, craché, mais en même temps, et personnellement, c’est ce que j’ai toujours fait, c’est une seconde nature. Je fais de la pop depuis l’âge de quatorze ans, je n’ai pas envie d’arrêter maintenant. Je ne sais rien faire d’autre. Cet entêtement m’a coûté quelques jolis déboires quand même, faut être costaud ou complètement inconscient pour supporter ça. » Arnaud d’ajouter : « Je n’ai pas vraiment l’impression d’approcher la quarantaine, ce milieu te maintient dans une certaine inconscience de l’âge, je trouve. Parfois, je me dis qu’on fait un métier de maboul, que tout est suspendu à un fil, qu’il faudrait raccrocher et avoir un « vrai » emploi stable, tout ça… Et puis non, c’est trop chiant et ça fait trop longtemps qu’on se bat tous : pas de marche arrière possible ! » Plus qu’un amour, un sacerdoce. Une nature profonde.
Aline est revenue
Pour s’assurer de ne pas faire les choses à moitié, suite à sa signature sur le label [PIAS], un coup de poker a permis à Aline de bénéficier des services de Stephen Street (The Smiths, New Order, Blur, Babyshambles…) à la production. Une collaboration qui s’est passée en douceur, la star britannique ne s’étant pas immiscée dans le travail des musiciens, sa méthode simple et instinctive focalisant sur la manière de sonner du groupe, qui doit être la plus personnelle possible. De cette collection de tubes, deux titres dénotent par une tonalité positivement surprenante qui conduit la bande sur le chemin de la variété (à tous les sens du terme). Ainsi, Chaque jour qui passe, qui évolue dans un registre plus chanson française, traite à nouveau de la ville (Paris, encore) sur un lit mélodique très confortable, clavier et piano instaurant une grande mélancolie. Une synthèse parfaite d’Autour de Lucie et des Smiths (l’émotion de There is a light that never goes out n’est pas loin). Idem pour Les mains vides, qui dénote d’un sens de la mélodie affûté, porté par de doux accords et des chœurs à l’avenant, traitant d’une quête sentimentale philosophique renvoyant à L’Alchimiste de Paulo Coelho. Car il est dit que le bonheur se trouve souvent sous nos yeux. Ou à portée de nos oreilles.
Sébastien Valencia
Aline – La vie électrique ([PIAS]) dans les bacs le 28 août 2015
En concert : le 8/05 au Zénith Oméga (Toulon), dans le cadre du MIDI Festival.
Infos : midi-festival.com
Le journal de bord de l’enregistrement de l’album et toutes les infos du groupe, à suivre sur sa page Facebook
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