A bord du Darjeeling Limited – (USA – 1h31) de Wes Anderson avec Owen Wilson, Adrien Brody, Jason Schwartzman…
La vie déraille
Du haut de ses trente-huit ans, et avec cinq films à peine au compteur, Wes Anderson s’affirme comme l’un des auteurs les plus singuliers du cinéma américain. Après les déboires de La famille Tennenbaum et le patchwork foutraque de La vie aquatique, le Texan nous revient avec un road-movie décalé et haut en couleurs (celles de l’Inde, chamarrées) qui traite, une fois encore, de famille dysfonctionnelle et d’êtres névrosés jusqu’à la moelle. Ici, les Whitman, trois frangins aux allures de clowns tristes, affublés de onze valises, d’une imprimante et d’une machine à plastifier, embarquent à bord du train Darjeeling Limited pour une « quête spirituelle » qui va inévitablement dérailler. Il y a là Francis, l’aîné enrubanné, dépressif et tyrannique (Owen Wilson, plus attachant que jamais), Peter, dandy immature et égaré (Adrien Brody, « l’intrus » du casting, qui se fond complètement dans l’univers d’Anderson) et Jack, jeune branleur complètement détaché (étonnant Jason Schwartzman, qui a co-écrit le scénario avec Anderson et Roman Coppola).
Dès les premières minutes, on reconnaît la patte d’Anderson — qui ne tient pas qu’à la brève apparition du Droopy humain Bill Murray, dans une excellente scène introductive. Esthétique seventies (soulignée par une superbe photographie), mécanique burlesque un peu foireuse, feu d’artifice visuel (facilité, il est vrai, par la réalité colorée de l’Inde), mise en scène élégante et aérienne qui suggère plus qu’elle ne surligne : A bord du Darjeeling Limited s’appuie sur les mêmes ressorts filmiques et narratifs que ses prédécesseurs. Et avance, de fait, à la même allure que le train qui lui donne son nom : lentement et de manière imprévisible, prenant le temps de développer la personnalité de chacun (à travers des non-dits et des regards plus que via ses dialogues), tout en construisant parallèlement d’infimes histoires qui ne manquent pas de grandeur et faisant d’apparentes anecdotes des enjeux pleins d’intensité. Ralentis, travellings et panoramiques foisonnants offrent de somptueux plans de coupe ; montage et cadrage permettent à Anderson de suivre ses personnages au plus près tout en prenant du recul, sans jamais les juger. Un humanisme jamais surfait qui contamine le spectateur, le touche et le déroute en permanence.
Malgré toutes ces qualités, on reste quelque peu sur notre faim : peut-être qu’Anderson avait placé la barre trop haut avec ses précédents longs-métrages, peut-être qu’on attendait mieux de la part d’un réalisateur qui, en fin de compte, assoit plus sa vision douce-amère du cinéma qu’il ne la renouvelle.
CC