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A la galerie Porte-Avion, la jeune artiste française John John brouille les pistes avec une exposition intrigante
Tiens, une expo sur Catherine Deneuve à la galerie Porte-Avion… Mais qui est ce John John ? Un photographe qui a eu le privilège de fixer sur pellicule l’image parfaite de l’actrice française ? Un artiste qu’elle inspire particulièrement ? Non : Catherine Deneuve n’est pas une expo sur Catherine Deneuve — à la grande surprise d’une bonne partie des visiteurs, attirés là par l’univers qu’elle incarne. Ils ont simplement été piégés par les représentations fantasmatiques que fait se lever le nom de Deneuve, icône absente de l’exposition. Cette utilisation des connotations dans le titre même de l’exposition est révélatrice de la démarche artistique de John John : dérouter le spectateur, l’amener à se poser des questions. L’une des installations présentées à la galerie Porte-Avion est tout de même en lien avec l’actrice française. Intitulée elle aussi Catherine Deneuve, elle met face à face deux cochons d’Inde géants, dans un simulacre de dîner en tête-à-tête. S’ils sont bien assis à une table devant des assiettes, celles-ci sont vides, et il n’y a sur la table ni plats ni couverts, ni rien d’autre de ce qui fait un repas. Les cochons d’Inde en peluche ne semblent être là que pour écouter la voix de Catherine Deneuve, qui s’élève d’un magnéto posé sur un guéridon. Un montage sonore de ses répliques les plus neutres dans Belle de jour (« Oui…non…je ne sais pas »), où sa voix semble fonctionner comme un sous-titre sonore de la situation des cochons d’Inde. Dans le film de Buñuel, qui la consacra en tant que blonde glacée et troublante, Deneuve joue en effet le rôle d’une bourgeoise, mariée à un médecin qu’elle adore, mais avec qui elle s’ennuie sexuellement. Dans le face à face des cochons d’Inde, dans la froideur clinique de la pièce, murs et carrelage blancs, la seule voie offerte au couple paraît être une voix qui justement n’est pas la leur, qui serait seule capable de dire leur absence d’émotions et leur défaut de communication. Dans le même temps, le choix du cochon d’Inde pour figurer l’humain renvoie aussi au cobaye de laboratoire, à l’animal sur lequel on fait des expériences, à l’instar de l’artiste avec ses personnages et les spectateurs.
John John n’est pas le descendant d’une autre célébrité, elle aussi entourée d’une aura mythique, mais… une jeune femme, qui aime à brouiller les pistes. Si elle reconnaît que ses œuvres sont aussi pour elle une manière d’explorer des questionnements intimes, elle les construit de telle sorte que le spectateur ne peut pas y trouver une signification préétablie. Ce qui intéresse John John, c’est au contraire de jouer avec une pluralité de sens, afin que chacun puisse lire en lui-même sa propre interprétation de ce qui lui est proposé. En ce sens, pour reprendre la phrase de Duchamp, c’est bien ici le regardeur qui fait, non pas le tableau, mais l’installation.
Celle intitulée L’axe gonadotrope chez la femme est particulièrement emblématique de ce mouvement du regardeur vers l’œuvre. Une collection de playmobils policiers y est mise en scène, avec voiture, uniformes, et accessoires. Parmi eux, des œufs de poules en plastique, à échelle réelle. Sur les trois murs, des masques de coqs identiques. Le jeu de mots flics / poulets est évident, mais derrière les poulets, c’est aussi la poule pondeuse et ses connotations féminines qui sont visées. S’agit-il de montrer que, dans un Etat policier, la femme est réduite à sa seule fonction de reproductrice ? De stigmatiser la hausse des recrutements dans la police nationale ? Ou encore d’une métaphore de la grippe aviaire, les playmobils flics essayant d’éradiquer l’épidémie dans l’œuf, et les poulets morts pour la sécurité des humains revenant les hanter sous forme de masques colorés ? Certains spectateurs n’y voient que la grippe aviaire ; et l’œuvre ayant été conçue il y a un mois, leur lecture est légitime. D’autres n’y pensent même pas, arrêtés par la multiplication des poulets et l’obsession sécuritaire sous-jacente. Ainsi, les différentes interprétations ne s’excluent pas, elles s’interpénètrent au contraire, créant une œuvre riche d’une multiplicité de sens. Loin des installations faciles et vite oubliées (dont l’exposition Notre histoire… au Palais de Tokyo offrait plusieurs exemples cet hiver à Paris), celles de John John, si elles déroutent au premier abord, restent longtemps en mémoire, offrant une réelle tentative de mettre à jour les mécanismes qui animent l’homme et la société.
Mélanie Rémond
Jusqu’au 24/04 à la Galerie Porte-Avion (42a rue Sainte, 1er). Rens. 04 91 33 52 00