Lady Jane – (France – 1h45) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin…
Face à l’amer
Après avoir délaissé le temps de deux films — l’institutionnel Le Promeneur du champ de Mars et l’originel Le voyage en Arménie — son histoire d’amour avec Marseille, Guédiguian est de retour sur ses terres natales, avec, ô surprise, un film de genre. Désireux de confronter les invariants de son cinéma — acteurs fétiches et décors phocéens — au polar, Guédiguian réinvente son cinéma en décidant de se passer de toutes les béquilles narratives inhérentes au sujet et opte pour la plus personnelle des versions — rythme tranquille, faconde méridionale, ellipses et sang a minima. Autour de Muriel (la muse Ascaride), ancienne cambrioleuse de haut vol, rangée des voitures depuis une quinzaine d’années suite à un braquage ensanglanté, et de François (Daroussin) et René (Meylan), ses anciens compères prêts à refoutre la cagoule, le réalisateur de la fable Marius et Jeannette réussit son pari de nous embarquer dans une inextricable histoire de vengeance et de transmission contrariées. Parfaite, comme à l’accoutumée, devant la caméra de son mari, Ariane Ascaride est ici encore plus impressionnante en Electre moderne, à la fois vengeresse et victime, stoïque et glacée, appréciant modérément le froid plat de la vengeance. Délestée de ses oripeaux pagnolesques, hantée par un passé honteux et démolie par un présent en pointillés, Ascaride confirme qu’elle est sous-exploitée par le cinéma français. On n’en dira pas autant, petit bémol, des pourtant très sympathiques Darroussin et Meylan, mis sous l’éteignoir Ascaride, définitivement plus à l’aise dans le cinéma de Guédiguian une canne à pêche à la main qu’une mitraillette en bandoulière. Polar mélancolique, Lady Jane est aussi un grand film nostalgique : d’une époque révolue (les hold-up à la Robin des bois), des amours défunts (la relation entre Muriel et François) et du film noir (comme l’entendait Jean-Pierre Melville et pas Olivier Marchal). Au sommet de l’œuvre guédiguienne entre La ville est tranquille (et ses airs de thriller social) et Marie-Jo et ses deux amours (son Atalante), icelui est le diamant noir qui ombrage enfin, sans jamais l’entacher, une filmographie radieuse. Et conforte Guédiguian dans son fauteuil de grand cinéaste.
Henri Seard