Le Bois de l’Aune d’Aix-en-Provence
L’Interview
Patrick Ranchain
Implanté dans le quartier dit « sensible » du Jas de Bouffan, le Bois de l’Aune (BLA) se trouve au cœur de la question de la mixité des publics dans le domaine culturel. Après avoir été l’une des vitrines de MP 2013, comment ce lieu qui pratique la gratuité pense-t-il son avenir ? Rencontre avec son directeur et focus sur la programmation du semestre à venir.
Présentez-nous le Bois de l’Aune…
Il s’agit d’un lieu pluridisciplinaire qui fait une programmation de grande exigence tout en y associant le terme de populaire.
Comment fait-on pour mélanger tout cela ? N’est-ce pas antinomique de mettre Tchekhov (La Cerisaie par tg Stan) et populaire dans la même phrase ?
Que raconte Tchekhov ? Des histoires d’hommes et de femmes ! C’est quoi la vie et qu’est ce qui nous intéresses tous ? Des histoires d’hommes et de femmes !
80 % de la population ne va pas au théâtre (le « non public »), un nombre important qui se dit que le théâtre n’est pas fait pour lui. Une des premières approches pour le faire venir au Bois de l’Aune est sa gratuité, une volonté politique de Sophie Joissains, déléguée à la Culture de la Ville d’Aix-en-Provence.
La gratuité entraîne-t-elle d’autres difficultés ?
Avec le temps, oui. Pour venir au BLA, vous devez réserver ; sinon, vous n’avez pas de place. Vous obtenez un billet, il est à votre nom et en règle générale, les gens appellent pour dire qu’ils ne viennent pas. Mais nous sommes « victimes » de notre succès car il se manifeste une certaine forme d’incivisme, comme la surréservation. Ce qui fausse les taux de remplissage de salle. Alors, on invente des choses pour responsabiliser les personnes et leur faire entendre que si c’est gratuit, ils doivent en prendre soin.
Une salle gratuite non pleine pose plus de questions qu’une salle payante à moitié vide. Notre travail a été de défendre la gratuité comme on défend le payant.
Comment faire venir le « non public » ?
Le BLA n’est pas un théâtre de quartier, mais un théâtre dans un quartier, c’est-à-dire ouvert sur son quartier et gagnant d’autres territoires. Telle est sa force. Donc il faut cette mixité des publics.
Ce n’est pas évident d’expliquer la pertinence d’un lieu d’art ici. Il faut apprendre à se respecter, à agir ensemble le plus simplement possible. Cela passe tous les jours dans le rapport humain que l’on instaure dans le quartier, par les échanges que l’on peut avoir devant le théâtre, les liens que l’on peut tisser, les formes que l’on peut inventer…
Le Bois de l’Aune n’est pas une association mais une régie, vous dépendez directement d’une collectivité, auparavant de la Communauté du Pays d’Aix et depuis août de la Ville. Ce changement de tutelle va-t-il changer quelque chose ?
Je pense que la Ville va nous aider à trouver du financement ailleurs, parce que le BLA est désormais sur un territoire bien défini et que la Ville va se l’approprier. Donc c’est bien aussi vis-à-vis de la DRAC, de la Région, du Département, pour aller chercher des financements, ce dont a besoin le BLA pour se développer.
La Ville valide-t-elle la programmation ?
Non, il y a une confiance. Bien sûr, il peut y avoir des moments difficiles où la proposition artistique peut être non adaptée car elle n’est tout simplement pas réussie artistiquement.
Nous n’avons de comptes à rendre qu’en termes d’existence et de vivacité du lieu.
La seule chose que je souhaite pour ma part, c’est que la ville d’Aix revendique ce lieu comme un lieu d’art. C’est magnifique d’avoir un lieu d’art dans un quartier. A côté du CIAM, de la Fondation Vasarely, du festival Zik Zac (gratuit aussi)… Ce qui démontre qu’il y a une volonté des élus de favoriser la décentralisation culturelle.
Quid de la programmation cette saison ?
Je programme de six mois en six mois, ce qui laisse des respirations.
Le seul lien entre toutes les propositions est la notion du beau, que ces gens-là aient des choses à dire sur un plateau et que globalement, on pose des questions de théâtre.
Ainsi, à la fin de la semaine nous programmons Les Mamelles de Tirésias d’Ellen Hammer et Jean Batiste Sastre, un ovni poétique avec Catherine Germain et Hiam Habbas sur des textes de Guillaume Apollinaire.
Il y aura aussi Reste(s), un projet de sortie d’école de l’ERAC qui a un côté frais. Ils ont une manière intelligente de travailler l’impro, le texte, une vraie envie d’aller sur le plateau.
Tg Stan reviendra deux fois (avec La Cerisaie et Onomatopée) ; Tiago Rodrigues, qui a fait beaucoup parler de lui cet été dans le In d’Avignon avec Antoine et Cléopâtre, présentera By Heart, objet atypique contre l’oubli, le temps, la disparition.
Nous recevons également Mohamed El Khatib (collectif Zirlib), qui a fait un tabac dans le Off d’Avignon. Finir en beauté parle de la mort de sa mère et c’est à la fois triste et heureux, avec beaucoup d’humour. J’aimerais l’accompagner sur son futur projet autour des supporters.
J’ai aussi privilégié les compagnies locales, dont certaines vont s’installer à côté au Patio, comme l’Arentin Gustavo Giacosa, qui était en résidence ici la semaine dernière et a notamment travaillé avec Pippo Delbono avant de monter sa propre compagnie, un collectif avec une ex danseuse de Pina Bausch, des musiciens, des plasticiens…
Ou Taoufig Izeddiou, chorégraphe marocain que l’on a découvert à Dansem avec Aleef, qui présentera Une autre danse avec les femmes du quartier.
Ainsi, vous travaillez sur la longue durée, autant sur une confiance avec le public qu’avec les artistes que vous programmez ici…
Oui et parfois on se plante des deux côtés. Mais c’est un lieu vivant, c’est pour cela que je dis que c’est une petite agora.
Vous ne programmez que du spectacle vivant ?
Non il y du nouveau, les Petites Bobines, du cinéma pour enfants.
En fait, vous êtes un théâtre dans le quartier avec une programmation de scène nationale…
« Le local, c’est l’universel moins les murs… », disait Miguel Torga. On essaie de désenclaver cette salle, voilà pourquoi cela m’intéresserait de déplacer notre public dans les théâtres du centre, ou que celui du centre vienne chez nous, comme cela va être le cas avec la collaboration menée avec Dominque Bluzet et le Théâtre du Jeu de Paume sur La Cerisaie de tg Stan.
Nous sommes constamment renvoyés à cette question de la conquête des publics. C’est un travail sur lequel il faut perpétuellement revenir, qui n’est jamais acquis.
Propos recueillis par Mathilde Anezin
Le Bois de l’Aune : 1 Place Victor Schoelcher – Jas de Bouffan, Aix-en-Provence.
Rens. : 04 42 93 85 40 / www.agglo-paysdaix.fr
Prochains rendez-vous :
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Les Mamelles de Tirésiasd’après Guillaume Apollinaire : le 15/10 à 19h30
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Festival jeune public A l’abordage : du 17 au 30/10
Les prochains rendez-vous à la Salle du Bois de l’Aune ici
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Les Mamelles de Tirésiasd’après Guillaume Apollinaire : le 15/10 à 19h30
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Festival jeune public A l’abordage : du 17 au 30/10
Les prochains rendez-vous à la Salle du Bois de l’Aune ici