Festival Les Emouvantes
La mémoire vive
Spécialisé dans ce que l’on nomme trop vite les « musiques improvisées », le label Emouvances investit la Friche pour une nouvelle édition de son festival, centrée sur le thème de la mémoire. Alors que les fascistes font du lieu l’emblème d’une culture qu’ils abhorrent, les Emouvantes s’annoncent plus que jamais comme un foyer de résistance.
Pour résister, il faut se souvenir. Les musiciens doivent faire preuve d’une extrême rigueur pour trouver les conditions de leur émancipation vis-à-vis des codes musicaux institués par une grande sensibilité à la matière sonore. Ainsi de la présence du batteur Christophe Marguet dans le groupe du contrebassiste maître d’œuvre de l’évènement, Claude Tchamitchian : un peu vite étiqueté « coloriste » (un batteur qui jouerait comme un plasticien), ce maître ès peaux est un rythmicien hors pair qui, par la maîtrise de toute la palette sonore de son instrument, fait montre d’une poésie des plus sensibles. Or, comme nous le confiait Guillaume Séguron, « Il ne faut pas avoir peur d’oublier : dans les musiques improvisées, c’est quand on commence à oublier que l’on commence vraiment à créer. » Le contrebassiste nîmois, qui doit livrer ses Nouvelles réponses des archives lors du festival, met en abîme sa mémoire familiale intime à l’aide des quatre cordes et du bois de son instrument, les parant de voix en catalan (qu’il ne pratique pas !), pour mieux embarquer le spectateur dans un maelstrom de concentration et de sensations.
Cet inlassable collecteur de témoignages de l’exil des républicains espagnols, notamment en Languedoc, a osé faire retranscrire les carnets de guerre de son grand-père lozérien en catalan pour un hommage à ces exilés, dont les images de franchissement des Pyrénées font singulièrement écho à celles des actuels réfugiés.
Claude Tchamitchian, avec un nouveau répertoire sobrement intitulé 2015, s’empare de la commémoration du génocide arménien pour mieux en souligner l’universalité. Gageons qu’avec le saxophone baryton revendicatif de François Corneloup, ce concert transcendera le mythe d’une « communauté arménienne » marseillaise. Quant au clarinettiste Yom, présent ici dans un répertoire acoustique intitulé Le Silence de l’Exode, son néo-klezmer (cette musique issue du Yiddishland détruite par la Shoah) et son engagement mémoriel entrent en résonnance non seulement avec le récit biblique, mais aussi avec tous les flux de migrants issus notamment du Moyen-Orient — message renforcé par les percussions « iraniennes » d’un Bijan Chemirani. Françoise Atlan et Nidal Jaoua (qanun) raviveront quant à eux L’esprit de Grenade, cet Al Andalus fondateur de l’Europe, la vraie, dont les fascistes ne pourront jamais éradiquer la mémoire.
Laurent Dussutour
Festival Les Emouvantes : du 14 au 16/10 à la Friche La Belle de Mai, salle Seita (41 rue Jobin, 3e) et le 17/10 à l’AJMI (4 Rue des Escaliers Sainte-Anne, Avignon).
Rens. : www.lesemouvantes.com
Le programme complet du festival Les Emouvantes ici